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Kong de Michel Le Bris : la puissance insondable du mythe

Né le 1er février 1944 et décédé le 30 janvier 2021, Michel Le Bris était un homme de lettres à multiples tâches. Ecrivain, journaliste, philosophe et essayiste français, il s’était passionné de romans d’aventures en éditant beaucoup d’œuvres écrites par Robert-Louis Stevenson et en créant en 1990 le festival littéraire « Etonnants Voyages », situé à Saint-Malo. Son œuvre est marquée par un manifeste intitulé Pour une « littérature-monde » en français (2007), valorisant notamment la portée d’une « littérature voyageuse ». C’est en mettant en avant un de ses romans, Kong paru en 2017 aux éditions Grasset, que je souhaite rendre hommage à ce flibustier des paysages littéraires.

Comme son roman La beauté du monde (2008) qui était centré sur le couple pionner du film documentaire, Martin et Osa Johnson, Le Bris parle dans Kong d’explorateurs du monde en la personne d’Ernest B. Schoedsack et de Merian C. Cooper, tous deux réalisateurs du film King Kong (1933). Il s’agit, pour l’un, d’un jeune cadreur ayant filmé les batailles dans les tranchées et, pour l’autre, d’un aviateur américain. Tous les deux se rencontrent à Vienne au sortir de la Grande Guerre et décident de monter un projet reflétant l’horreur vécue au quotidien. Car oui, au-delà des coulisses de leur célèbre long-métrage, le roman de Michel Le Bris dépeint un changement de paradigme à travers le périple de ces cinéastes. Ce changement se traduit d’abord par le contexte d’un monde troublé par la guerre, meurtri par un mal inexplicable. C’est dans cette société en crise que Cooper et Schoedsack tentent de capter avec leur caméra le réalisme le plus exigeant afin de représenter parfaitement l’effet terrassant de la guerre. Cette première ambition leur donne l’occasion de partir à l’aventure, en filmant une tribu d’Iran méridional, les Bakhtiaris (L’Exode, 1925), et la survie d’un paysan dans la jungle du Siam (Chang, 1927). L’écriture de Le Bris manie à la fois un sens du romanesque remarquable et une érudition foisonnante, ce qui aide le lecteur à être immergé dans cette première quête vouée à l’image brute. Puis, l’entreprise s’emballe : Cooper et Schoedsack font appel à la fiction pour représenter l’indicible au cœur du monde. En tournant King Kong, les deux amis intrépides pensent la figure du gorille bipède géant comme un « face-à-face primordial entre l’homme et la nature des origines » (p. 587). A partir de cette idée symbolique, leur projet allie un certain souffle de l’aventure au défi de mêler à l’écran acteurs et figurines animées par le pionner des effets spéciaux Willis O’Brien. King Kong devient un monument provoquant un changement décisif dans l’industrie cinématographique, inclinant le spectateur à une nouvelle manière de raconter une histoire. Le Bris met en scène cette production titanesque à l’époque comme l’acmé d’une odyssée menée par Merian Cooper et Ernest Schoedsack. Comme la remontée d’un fleuve inquiétant décrite par Joseph Conrad dans Au cœur des ténèbres (1899), le récit évoque la destruction d’un monde par la Première Guerre mondiale. Mais il termine sur l’avènement d’un autre, porté par l’aura de King Kong, monstre qui paraît plus humain que les humains.

Plus que la genèse du long-métrage éponyme, Kong de Michel Le Bris traite de la puissance de la création à travers le parcours grandiose de Cooper et de Schoedsack. Riche en rebondissements, le roman établit tout un réseau de résonnances entre le chemin parcouru par ses personnages principaux et l’Histoire du monde. Sous la plume de Le Bris, la carrière des deux cinéastes devient une expérience humaine homérique. Palpitant et vertigineux, Kong est une fresque sublime, construite sur l’idée fascinante du mythe qui est nécessaire à l’humanité. Tel est le message glissé par l’auteur en ces termes, page 452 :

« N’étaient-ce pas les mythes, dans le fond, qui menaient le monde, soudaient les hommes, les faisaient se sentir plus vastes qu’eux-mêmes, aussi vastes que l’univers ? N’étaient-ce pas eux qui les soutenaient dans le noir, les guidaient quand tout venait à manquer ? […] Non : ils disent le monde. »

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2 Comments

  • Reply
    laurene
    17 mars 2022 at 18:59

    bel hommage rendu à Michel le Bris pour son excellent « Kong » !

  • Reply
    Harry
    17 mars 2022 at 16:26

    C’était un noble personnage.
    Je ne savais pas que c’était lui qui avait créé ce festival.
    J’y allais souvent puisque je suis originaire de la région.

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