Chanteuse rock

Cat Power

Il y a de ces noms de groupes qui, en réalité, ne se focalisent que sur une seule et même personne, comme The Cure avec l’emblématique Robert Smith, ou The Cranberries avec la géniale Dolorès O’Riordan. A cette liste, pourrait également figurer la non moins douée Cat Power, alias Chan (prononcez « Shawn ») Marshall, véritable électron libre de la scène indé US, qui depuis une bonne quinzaine d’années maintenant, promène ses compositions douces-amères au gré de ses envies et de ses collaborations artistiques. Songwriter accomplie qui a su imposer son style minimaliste mais néanmoins efficace, faisant la part belle au trio voix-guitare-piano, la juvénile Chan vit à rebours du star system et de ses frasques. Aux antipodes du carriérisme ambiant, la demoiselle a fait de « liberté », son maître-mot, n’en déplaise aux mauvaises langues qui pourraient y voir une explication à sa carrière en dents de scie. Car si l’artiste a mis du temps pour se faire connaître auprès du grand public, à son tour maintenant de surfer sur le succès de son dernier disque Jukebox, sorti dans les bacs en janvier dernier. Quelle est la force de Cat Power ? A l’évidence, celle de se renouveler sans cesse.

Cet accent si chaud et chantant, Cat le tient du sud des Etats-Unis. Née le 21 janvier 1972 à Atlanta et élevée entre le Tennessee, la Géorgie et la Caroline, « Chan » ou Charlyn Marie Marshall, pour l’état civil, est une enfant de divorcés. Elle-même confirme que cette enfance bohème l’a largement préparée à la vie d’artiste qu’elle s’est choisie par la suite. Il est vrai qu’entre une mère hippie et un père pianiste itinérant, la filiation semble donnée d’emblée. Mais derrière les apparences, la vérité est toute autre : chez les Marshall, on a beau être libéré, la musique n’est pas matière à plaisanter. […] « Les pianos, je ne les voyais qu’à l’église ou dans l’appartement de mon père et on m’a toujours interdit de toucher aux instruments. J’ai été élevée dans un foyer où l’alcool était un sacré problème et il y a d’autres normes éducatives quand vous grandissez dans un milieu comme celui-là » […] confie la chanteuse (spinmag.com, 22/11/2006).

Lassée des querelles incessantes avec sa mère et rejetée par un père trop souvent absent, Chan quitte l’école à 15 ans. En quête de stabilité, celle-ci suit sa sœur aînée pour s’installer à Atlanta. La vie n’est pas toujours rose et Charlyn doit alterner les petits boulots pour pouvoir s’en sortir mais au moins on la laisse vivre librement. Elle qui, plus jeune, a été bercée par la musique soul et les chansons de Johnny Cash, Emmylou Harris, les Stones, les Beatles mais aussi et surtout Bob Dylan, s’initie également à la scène post punk de la grande ville où les groupes sont légions. Elle-même en compte quelques uns parmi ses amis. L’idée de faire de la musique son métier commence à peine à lui effleurer l’esprit que justement l’une de ses connaissances lui propose de monter leur propre groupe. Chan, qui vient tout juste de se mettre à la guitare accepte de relever le défi. On est en 1992 et elle a 20 ans. Reste à trouver un nom à l’aventure : Cat Power.

Il faut savoir que la formation nouvellement créée ne doit pas son nom à l’amour inconsidéré de Charlyn pour les chats mais à une célèbre compagnie de camions Outre-Atlantique. Les deux musiciens qui ont rejoint la chanteuse en devenir, ce sont Glen Trasher et Marc Moore. Le trio enchaîne les répétitions et les petits concerts dans les bars d’Atlanta, en solo ou première partie de groupes tels que Magic Bone ou Opal Foxx Quartet. Aux dires mêmes de Marshall, la musique, en dehors de son aspect communautaire, est surtout à l’époque un bon prétexte pour elle et ses comparses pour abuser respectivement d’alcool et de drogues.

Arrive peu de temps après cet épisode noir dans la vie de Chan : « Je travaillais comme serveuse dans ce bar d’Atlanta quand mon copain est décédé et j’ai alors complètement perdu l’esprit. Ensuite mon meilleur ami est mort du sida. Toutes les personnes qui m’étaient chères à Atlanta étaient sous héroïne et c’était tellement horrible que je suis partie à New York.[…] » (gardian.co.uk, 23/05/2003) Nouvelle fuite en avant pour la jeune fille qui, accompagnée de Glen Trasher, décide de jeter de nouvelles bases à NYC.

New York, New York

Dans « la ville qui ne dort jamais », celle-ci est initiée par Trasher à la nouvelle scène free-jazz. C’est alors tout naturellement qu’elle y puise l’inspiration nécessaire pour les nouveaux morceaux qu’elle expérimente au gré de ses représentations. De fil en aiguille, Chan fait la rencontre de plusieurs groupes dont God Is My Co-Pilot qui lui permettra de réaliser sa première maquette « Headlights », écoulée à 500 exemplaires sous leur label Making of Americans. Deux ans après ses débuts, on la remarque enfin et lui propose de faire l’ouverture du concert de la très alternative Liz Phair. La carrière de Cat est quasiment lancée.

Car c’est en coulisse en effet que Charlyn fait la connaissance de Steve Shelley et Tim Foljahn des groupes Sonic Youth et Two Dollar Guitar. Rencontre décisive puisque les deux musiciens la convainquent de les faire participer à l’enregistrement de ses deux premiers albums, Dear Sir et Myra Lee. Issus de la même session d’enregistrement en décembre 1994, les deux albums ne sortiront cependant pas simultanément. Tandis que le premier, Dear Sir, est lancé en octobre 1995 sous Runt Records, il faudra attendre moins de 5 mois pour que le deuxième, Myra Lee, dont le titre rappelle le propre nom de la mère de Chan, fasse incursion dans les bacs sous l’étiquette Smells Like.

A peine le grand public s’est-il familiarisé avec le blues-country-folk-punk si propre à l’artiste que sort en septembre 1996, son troisième album intitulé What Would The Community Think (en abrégé, WWTCT). Porté par le single « Nude as the News » pour lequel sera tourné un clip promotionnel, Marshall offre un album qui aime jouer sur la dualité des sentiments. Entre rage punk (« Nude as the News », « Good Clear Fun ») et vulnérabilité folk (« King Rides By », « Water and Air »), Cat démontre qu’elle peut montrer ses griffes comme faire patte de velours. Déjà, son goût pour les reprises se fait sentir avec sa ré-interprétation du « Fate of the Human Carbine » de Peter Jefferies et du « Bathysphere » de Smog.

Si WWTCT avait été l’album de l’orage électro-acoustique, son successeur Moon Pix est bien celui où la tension fait place à l’accalmie générale. Etrange destinée pour cet opus lancé en septembre 1998 qui n’a failli jamais voir le jour. Fin 1996, après 3 mois de tournée pour son précédent album, Chan décide subitement d’arrêter la scène. Cette coupure aurait été définitive si celle-ci n’avait pas, au cours d’une nuit d’insomnie causée par un cauchemar, trouvé l’essence même de son nouvel album. De cette veille inspirée, Charlyn a signé l’écriture de cinq titres, dont les merveilleux « Metal Heart » et « Cross Bones Style », sans conteste le morceau le plus dansant de l’album. Sans nul doute, Cat attribue à la Lune sa seconde renaissance, en lui dédiant cet album chaud et maternel.

Non contente d’avoir livré un disque hypnotique, Chan prend encore à contre-pied un auditoire croissant en réalisant The Covers Record en mars 2000. Pour son cinquième album, Charlyn se paye le luxe d’inventorier une dizaine de reprises. De peur de se lasser de sa propre musique, celle-ci entame la ré interprétation très personnelle de standards du folk, rock et reggae, en choisissant par exemple « (I Can’t Get No) Satisfaction » des Stones, « Paths of Victory » de Bob Dylan ou « Kingston Town » de Lord Creator. Là où de jeunes artistes zélés auraient pu voir leur carrière se réduire à néant, Marshall réussit l’exercice de style haut la main.

Album de la maturité acquise, You Are Free est une révélation pour le grand public. Il est vrai que l’aide apporté par Eddie Vedder, chanteur de Pearl Jam et du batteur Dave Grohl, qui s’est illustré chez Nirvana avant les Foo Fighters, y est pour quelque chose. Comme un conseil adressé à un ami ou une constatation faite sur elle-même, l’album est une vraie libération pour la chanteuse, qui, au fil des morceaux, fait preuve d’une énergie hors du commun. Porté par l’explosif « He War », You Are Free est sans conteste l’œuvre la plus accessible de Cat Power. Des titres très personnels comme « I Don’t Blame You », « Free », « Good Woman » nous donnent des clefs pour comprendre la personnalité complexe de cette éternelle insatisfaite, qui semble avoir fait la paix avec les démons de son passé.

Le succès grandissant, Chan n’a plus peur de se montrer telle qu’elle est, et tant pis si ça doit lui en coûter. Après la sortie courant 2004 du DVD très controversé Speaking For Trees, où on la voit alterner, seule et en plan séquence, presque 2 heures de compositions et reprises en pleine nature, celle-ci surprend encore en signant la réalisation de The Greatest (janvier 2006). Contrairement à ce que laisse croire son titre, cet album n’est pas une compilation mais plutôt un clin d’œil direct au boxeur Mohammed Ali, qui était effectivement surnommé « The Greatest » (en français, « Le Meilleur »). Dans cet opus, luxuriant en chœurs, cuivres et cordes, la voix de Cat se fait plus grave et suave que jamais. C’est que la demoiselle est retournée au Tennessee de son enfance, accompagnée par la crème des musiciens soul, les Memphis Rhythm Band, pour livrer ce pur produit sudiste flottant entre jeux du destin (« The Greatest », « Living Proof ») et aléas de l’amour (« Willie », « Where is My Love » « Love & Communication »).

Jukebox

Ironie du sort, à peine son nouvel album est sorti que Marshall se voit obligée d’en annuler la tournée américaine comme européenne. La raison ? Une expérience psychotique à tendance suicidaire résultant d’une trop grande fatigue mentale combinée à l’abus d’alcool… Pour une fois qu’un de ses albums fait l’unanimité, c’est Cat qui n’est pas rendez-vous. Décidée à ne pas rater une autre occasion comme celle-là, Charlyn se reprend et revient en force avec Jukebox, produit sous Matador Records, le label auquel elle est fidèle depuis WWTCT. Sorti le jour-même de ses 36 ans, soit le 21 janvier 2008, le huitième album studio est également le deuxième consacré à des reprises. Dans la même lignée que The Greatest, Jukebox distille un univers musical très largement inspiré par les années 60/70, revu au goût du jour par la magicienne Chan.

Appuyée par le Dirty Delta Blues Band, celle-ci ne se contente pas de réinterpréter mais de ré-imaginer le dynamique « New York » de Sinatra, « Lost Someone » de James Brown, « Women Left Lonely » de Janis Joplin ou « Blue » de Joni Mitchell. Bien sûr, la chanteuse n’oublie pas de faire hommage à son idole Dylan, avec un « I Believe in You » nouvelle donne et « Song for Bobby », spécialement écrit pour l’occasion. Finement retravaillé, même le « Ramblin’ Man » de Hank Williams devient « Ramblin’ (Wo)Man » ! Pour ceux qui s’étaient empressés d’enterrer Cat Power, Chan pare à leur attaque avec sa magnifique réorchestration de son « Metal Heart », qui trouve ici une résonance toute particulière (« I once was lost/ But now I’m found/ Was blind but now I see You »). En nous faisant passer par toute une palette d’émotions richement introspectives, Jukebox réaffirme l’incroyable excellence de l’artiste à se renouveler sans cesse pour mieux se fixer dans l’intemporalité. Indubitablement, l’album de la résurrection.

Back Of Your Head

« Mon boulot c’est d’oublier que je suis ici et que vous l’êtes également. C’est pour ça que je suis un peu nerveuse. Avant, je pensais que la seule solution c’était d’être bourrée ». Avec ce Mea culpa adressé à son public lors du début de la tournée de Jukebox, Cat confirme avoir véritablement changé. Oubliés les shows disparates, où la demoiselle, pas vraiment en possession de ses moyens, accumulait les bourdes. Plus de chansons écourtées ou totalement interrompues dont les médias aimaient se faire les gorges chaudes. Place à une nouvelle Chan, qui en plus d’avoir réglé ses problèmes avec l’alcool, montre maintenant qu’elle a plus confiance en elle et en son œuvre.

Ce nécessaire travail sur soi, que n’importe quel artiste doit effectuer à un moment donné de sa vie, ne l’en a que plus grandie. En outre, ses deux derniers albums prouvent bien que Cat est avant tout plus une blueswoman qu’une chanteuse folk-rock. La sécheresse et l’urgence de ses travaux de jeunesse contrastent avec l’opulence nonchalante de ses dernières compositions, où la lenteur du tempo ne souligne que mieux sa voix grave. Car Chan ne se contente pas seulement de dépeindre ce chaos, ces vies brisées et ces attentes déçues, elle les « vit » véritablement. De l’aveu même de l’artiste, les personnages qui peuplent ses chansons existent réellement et sont souvent le prétexte pour que celle-ci fasse le parallèle avec sa propre vie. Ce chanteur que Chan semble absoudre dans « I Don’t Blame You » ne pourrait-il pas être son alter-ego du passé ? (« Last time I saw you, you were on stage/ Your hair was wild, your eyes were red/ And you were in a rage/ You were swinging your guitar around/ Cause they wanted to hear that sound/ But you didn’t want to play/ And I don’t blame you […] ».

Etonnante personnalité que celle de cette perfectionniste chronique, pour qui l’erreur n’est pas permise. En perpétuelle remise en question, Cat n’hésite pas à réorchestrer indéfiniment ses compositions comme celle des autres, dans le but ultime d’atteindre l’excellence. Conséquence logique : un concert de Chan ne ressemblera jamais à un autre ! Surtout le choix du set de reprises, passage obligé s’il en est, dont le vaste répertoire ferait presque oublier que la chanteuse s’est déjà frotté au « Free Bird » des Lynyrd Skynyrd, « Deep Inside » de Mary J.Blige, « Wonderwall » d’Oasis et « War Pigs » de Black Sabbath. Preuve qu’il est impossible de l’enfermer dans un style bien précis. Vérité qui s’en trouve doublement justifiée au regard des collaborations que la demoiselle s’est choisie en dehors des studios. Ambassadrice de choix pour Chanel, Garnier ou Gap, actrice débutante pour Wong Kar Wai dans My Blueberry Nights, Chan ne rechigne pas à partager le micro de Yoko Ono sur Yes, I’m a Witch, ou avec le model Karen Elson pour le tribute Monsieur Gainsbourg Revisited.

Son image de marque lui permet également d’aider des associations humanitaires défendant l’accès à l’eau potable pour les pays pauvres, les victimes du conflit israélo-palestinien, la lutte contre le cancer et la condition animale. En prise directe avec son public, Cat a trouvé de nouvelles manières de communiquer, en ayant su faire de son insécurité sa force de caractère. [..] « Je suis heureuse d’être en vie. J’ai toujours été comme ça quand j’étais petite. Je me sens chanceuse et bénie. Si reconnaissante envers moi-même pour ne pas être tombée dans un piège […] parce que j’avais mon instinct de survie. Je ne viens pas d’une famille riche, éduquée ou n’importe quel autre type de famille encourageante, c’est pourquoi tous mes choix sont faits de mon propre chef »[…] (spinmag.com) Plus glamour et inspirée que jamais, c’est à bras le corps que celle-ci se jette dans une avalanche de dates mondiales. Si vous l’avez raté en janvier dernier, ne manquez pas le nouveau passage de Cat la féline le 1er juin prochain à l’Olympia .

SOURCES :

Sites Internet :

http://catpowerjukebox.com/site/

http://www.catpowerthegreatest.com/

http://www.matadorrecords.com/cat_power/

http://www.myspace.com/catpower

http://arbobo.over-blog.com/categorie-925975.html

http://www.rollingstone.com

http://www.pitchforkmedia.com

http://fr.wikipedia.org

http://en.wikipedia.org

Articles en ligne :

http://www.spinmag.com/articles/spin-interview-cat-power (22/11/2006)

http://arts.guardian.co.uk/homeentertainment/story/0,,961664,00.html (23/05/2003)

http://entertainment.timesonline.co.uk/tol/… (27/01/2008)

http://entertainment.timesonline.co.uk/tol/… (16/06/2006)

http://www.livedaily.com/news/733.html (11/04/2000)

(Les photos proviennent des sites http://catpowerjukebox.com et http://arbobo.over-blog.com/categorie-925975.html )

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