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Le Cinéma de Benoît Delépine & Gustave Kervern : rétrospective sur un « cinéma de la marge »

A l’occasion de la troisième édition du Festival CineComedies à Lille qui s’est déroulée du 29 septembre au 3 octobre, Jérémie Imbert et Christophe Gueudin ont consacré un ouvrage sur la filmographie de leurs invités d’honneur, Benoît Delépine et Gustave Kervern. Ces deux réalisateurs ont débuté leur carrière à la télévision. Chacun participant à différentes émissions, ils se sont finalement réunis sur le plateau de Groland, diffusé depuis 1992 sur Canal+. Dans cette fausse chaîne d’informations, parodiant avec acidité les actualités en France, Delépine et Kervern s’amusent à endosser des rôles pour le moins avantageux, l’un un correspondant international incompétent, l’autre un journaliste alcoolique. Suite à ce passage sur le petit écran, le duo se forme pour réaliser un long-métrage intitulé Aaltra, un « road movie en chaises roulantes » dans lequel leur humour noir se marie aux conditions d’un tournage à petit budget. Forts de ce premier succès dans les salles et auteurs de neuf films à ce jour, Benoît Delépine et Gustave Kervern ont mis en lumière dans leur carrière des personnages toujours placés à l’écart de la société française. Que ce soit un retraité à bord de sa moto (Mammuth), un punk à chien résidant dans une zone commerciale (Le Grand Soir) ou encore une famille d’agriculteurs en crise (Saint Amour), les cinéastes orchestrent une aventure rocambolesque à la mesure de ces personnalités marginales et contre toute attente attachantes. Avec ce premier tome de la collection CineComedies, Imbert et Gueudin comptent bien revenir sur ce qui fait l’essence du cinéma des « Grolandais ».

Conçu comme un dialogue avec les cinéastes, cet ouvrage décortique dans une ligne chronologique les étapes de fabrication de chaque long-métrage. De cette manière, le lecteur apprend la démarche initiale du projet, les déboires lors du tournage et la réception du film. Prenons par exemple Mammuth (2010) : retraçant le parcours d’un homme à la recherche de ses points de retraite, ce film s’inspire à la fois de l’expérience du père de Delépine en tant qu’agriculteur à la retraite et d’un rêve du même réalisateur, imaginant Gérard Depardieu aux cheveux longs sur une Münch Mammuth. L’implication de l’acteur a fait évoluer le projet d’un nouveau périple motorisé au voyage spirituel d’un homme meurtri par son premier amour. Naviguant entre le passé et le présent dans un même espace-temps, Mammuth transcende le postulat du « road trip » en mettant en avant avec mélancolie les fêlures intimes du personnage-titre. L’utilisation d’un format de pellicule 8 mm renforce l’impression poétique et déroutante du film.

Grâce à un panorama de toutes ces œuvres, Jérémie Imbert et Christophe Gueudin arrivent à retranscrire les obsessions de Benoît Delépine et de Gustave Kervern, leur intérêt pour un casting hétéroclite, leur sens de l’improvisation et leur goût pour l’expérimentation visuelle. Dans un langage décontracté, les cinéastes partagent à la fois des secrets de tournage, des idées de mise en scène et des anecdotes cocasses. Les témoignages d’acteurs (Benoît Poelvoorde, Yolande Moreau, Albert Dupontel, Jean Dujardin) et d’autres professionnels (Hughes Poulain, chef opérateur) ayant travaillé à leurs côtés viennent attester de l’évolution de leur cinéma au fil des ans. De nombreux et rares documents d’archive complètent de belle manière cet ouvrage d’exception.

Le Cinéma de Benoît Delépine & Gustave Kervern est un livre d’entretiens qui permet de mettre en lumière leur filmographie atypique. Riches de messages touchants sous couvert d’un humour grinçant, les longs-métrages de ce duo de cinéastes dépeignent les chemins de travers de personnages étrangers en leur propre milieu. Delépine et Kervern ont un savoir-faire particulier pour penser autrement des lieux filmés dans leurs œuvres. A travers un mouvement de transformation avec le point de vue, le centre commercial du Grand Soir (2012) devient une force majeure de décentrement pour les personnages voulant se joindre à ce système, le village Emmaüs d’I Feel Good (2018) se mue en un espace de confrontation entre deux philosophies de vie alors que le lotissement des Hauts-de-France dans Effacer l’Historique (2020) laisse place à une lutte illusoire contre les « géants d’Internet ». Riche en informations, le premier tome de CineComedies offre à chacun une belle occasion de découvrir (ou de redécouvrir) une autre facette du cinéma français.

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