Femme de légende

Joséphine Baker

L’égérie des années folles
(1906-1975)

Joséphine Baker, née Freda Joséphine Mac Donald  , le 3 juin 1906 à Saint-Louis dans le Missouri, est une célèbre danseuse, chanteuse et meneuse de revue. Métissée afro-américaine et amérindienne, elle est l’une des premières grandes stars noires. Utilisant sa grande popularité, la jeune femme s’engagera dans de nombreux combats au cours de sa vie, qui fut-elle même à de nombreux égards, un combat également.

De la pauvreté à la notoriété

Issue d’un milieu très modeste, Joséphine se voit très vite confier la charge de la famille lorsque son père quitte le foyer familial. Dès l’âge de huit ans, elle est placée comme femme de ménage dans une famille blanche. Étant l’aînée de la fratrie, elle doit aider sa mère qui élève sa famille dans une extrême pauvreté et sévérité. Sûrement pour échapper à ce poids, elle se marie dès l’âge de treize ans et vole de ses propres ailes en cumulant plusieurs emplois. Mais le rêve de la petite Joséphine c’est de devenir danseuse. Elle s’entraîne depuis qu’elle est toute petite. Elle rejoint un peu par hasard un groupe de musicien de rue, le Jones Family Band et plus tard grâce à eux intègre la troupe des Dixies Steppers,  d’abord comme habilleuse (trop jeune pour danser) puis finalement remplace une danseuse blessée. Elle intègre alors réellement la troupe en 1921 et devient la «  comic girl  ». Elle se déhanche sur scène et grimace à tout va.  Son ambition la pousse à aller plus loin encore, elle se rend à New York et réussit à intégrer le spectacle Shuffle Along, une comédie musicale à succès  : mélangeant singerie et attitude sexy, Joséphine devient un  véritable phénomène et obtient une réelle notoriété entre 1922 et 1924  . Une rencontre va changer son destin  : Caroline Dudley Reagan, épouse de l’attaché commercial de l’ambassade américaine à Paris. Elle voit en elle un grand potentiel et lui propose de la suivre en France où elle veut monter un spectacle «  La Revue Nègre  »… Joséphine en serait la star…

J’ai deux amours…

C’est ainsi que la jeune et fantasque Joséphine débarque à Paris en 1925. Elle entre dans la légende au théâtre des Champs-Élysées lors de la première de la Revue Nègre  : Vêtu d’un simple pagne de bananes, elle danse sur des rythmes encore méconnus en Europe comme le Charleston. La nouveauté des ces rythmes frénétiques et son exotisme lui apportent immédiatement l’intérêt des milieux artistiques et culturels parisiens, jusqu’à devenir l’égérie des cubistes. Sa danse suggestive et ses cheveux coupés à la garçonne en font un emblème de modernité et de féminisme.
A partir de cet instant, la carrière de la belle s’emballe, elle sera tour-à-tour meneuse de revue aux Folies-Bergères et au Casino de Paris (où elle fait sensation en se promenant avec un léopard en laisse…) concurrençant grandement les stars de l’époque comme Mistinguette. Sur les conseils de son manager, Abatino, elle part en tournée européenne où ses tenues légères et son show excentrique ne seront pas toujours appréciés. Parallèlement, en 1931, elle se lance dans la chanson et la célèbre mélodie J’ai deux amours devient le succès de cette année là. Elle s’essaye également au cinéma, avec un peu moins de succès, dans des productions comme Princesse Tam-Tam ou Zouzou où elle donne la réplique à un jeune premier, Jean Gabin.  Devenir chanteuse et comédienne lui permet de sortir de l’image étriquée de petite sauvage pour celle plus gratifiante de véritable diva. Elle subira pourtant un douloureux revers en faisant une tournée aux États-Unis en 1936, son deuxième amour la rejette, la trouvant trop «  européenne  » maintenant. Mais comme vous vous en doutez, Joséphine ne s’arrête pas sur un échec. C’est une femme forte qui toute sa vie continue d’avancer pour ses rêves. En 1937, elle devient française en épousant Jean Lion, un riche marchand, dont elle se séparera bien vite. Joséphine n’est pas une femme qu’on enferme, même dans le mariage.

Josephine Baker

L’engagement

Dès le début de la seconde guerre mondiale, Joséphine devient un agent du contre-espionnage et se mobilise pour la Croix-Rouge. Elle est chargée de surveiller la haute-société pour les services secrets de la France Libre. Réfugiée au Maroc, elle transmet de nombreux messages cachés dans des partitions musicales. Promue sous-lieutenant dans  l’armée de l’air des Forces françaises libres en 1942, elle aura un rôle très actif dans la résistance française jusqu’à la libération et recevra en 1946, des mains du Général de Gaulle, la légion d’honneur pour ses services.
Joséphine a un autre combat à mener : celui contre le racisme. Elle retourne aux États-Unis dans les années cinquante pour une série de concerts où elle exige que la mixité raciale soit de mise. Elle participe aux côtés de Martin Luther King en 1963 à la Marche pour le travail et la liberté et s’engage activement pour la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme). Elle essaiera également de sensibiliser le public européen au problème de la ségrégation.

En 1947, elle épouse le chef d’orchestre Jo Bouillon et achète le domaine des Milandes en Dordogne. Le plus grand drame de Joséphine c’est de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Alors dans ce domaine, elle va constituer sa tribu «  Arc-en-ciel  », comme elle l’appelait. Elle adopte douze enfants d’origines différentes, souvent des victimes de guerre (coréen, algérien, français, colombien, israélien, japonais, vénézuélien, ivoirien et même finlandais…). Le domaine et sa gestion, se révéleront un gouffre financier dans lequel Joséphine engloutira toute sa fortune. Elle devra alors multiplier les concerts à une époque où sa notoriété décroit. Elle sera finalement expulsée du domaine, ne pouvant payer ses dettes malgré le soutient financier de nombreux artistes comme Dalida ou Brigitte Bardot. Elle rebondit grâce au soutien de la Princesse Grace de Monaco qui lui offre un toit à Roquebrune après une représentation monégasque. Sans un sou mais avec la générosité de quelques amis elle continue d’accomplir son rêve le plus cher, celui de tolérance et de fraternité universelle.

Mais encore une fois, Joséphine, rebondit et reprend une série de concert à succès en France et aux Etats-Unis. Cette fois-ci son pays d’origine l’accueille à bras ouvert au célèbre Carnegie Hall. Le 8 avril 1975, elle entame à Bobino, devant un parterre de personnalités (Sophia Loren, Mick Jagger ou encore Jeanne Moreau…) et un public venu en masse, un spectacle célébrant ses cinquante ans de carrière. Mais cette apothéose sera brève : Le 10 avril 1975, la reine du music-hall est victime d’une attaque cérébrale et meurt deux jours plus tard d’une hémorragie cérébrale. Ses funérailles attirent un immense cortège et laissent un grand vide.

Un symbole de Liberté

Joséphine Baker est un personnage complexe. Critiquée ou adulée, il y a pourtant un point concordant, elle incarna dans de nombreux domaines une image de liberté absolue. Lors des représentations de la Revue Nègre qui en fit une star, de nombreux détracteurs pointèrent du doigt le côté raciste de ces spectacles. En effet, il ne faut pas oublier qu’à cette époque la France possède toujours un grand empire colonial, notamment en Afrique. Le fait que Joséphine accepte le rôle de la négresse délurée et débridée allait totalement dans le sens des pro-colons. Cette image de sauvageonne sans limite servait la thèse de la supériorité de l’homme blanc.

Cependant, Joséphine fit de ce rôle celui de libératrice de son sexe. En effet, dans le Paris des années vingt, le nom de Joséphine est synonyme de liberté. Avec ses petits seins, ses hanches dénudées, ses cheveux noirs coupés courts et collés à la gomina, Joséphine incarnait un grand nombre de tendances, goûts et aspirations de l’époque. Elle n’était plus une personne mais un concept et devint la « garçonne »-type. Jusqu’à présent, une longue chevelure était considérée comme la plus belle parure pour la femme.  Pour les couturiers des années vingt, préoccupés de libérer le corps de la femme, Joséphine devint le mannequin idéal. Le couturier qui la sculpta fut Paul Poiret, plus généralement connu comme « celui qui tua le corset ». Le vêtement se composait désormais d’une tunique légèrement attachée aux hanches, glissant le long du corps. La mode fut à la simplicité et au confort. Ses danses lascives et sensuelles furent également une libération pour les femmes. Dans sa vie privée, elle fut une femme libérée comme on en voyait peu à l’époque : collectionnant maris, amants et même maîtresses (dont Colette, l’écrivain).

La mode de l’art «  nègre  » pénétra rapidement dans la vie quotidienne des artistes et des milieux mondains. La Revue Nègre semble avoir constitué un tournant quant à la vulgarisation de la mode «  nègre  » en France. Ainsi, Joséphine n’hésita pas à écrire en 1927 : « Depuis que la Revue Nègre est arrivée au Gai Paris, je dirais qu’il fait de plus en plus noir à Paris. D’ici peu, il fera tellement noir qu’on craquera une allumette, puis on en craquera une autre pour voir si la première est allumée ou non. » (Paul Colin, Tumulte Noir, préfaces de Rip et Joséphine Baker, Paris, éditions d’Art Succès, 1927.). Tout en jouant le jeu du colon, Joséphine permit aussi de renverser les clichés et  éveilla un réel intérêt pour l’art africain .

Joséphine Baker fut un véritable symbole de liberté et de modernité dans une société européenne et américaine poussiéreuse, un déclic pour certains, une honte pour d’autres… et pourtant elle inspira de nombreux artistes (écrivains, peintres, sculpteurs…) et c’est toujours le cas actuellement. Joséphine a connu la misère et les feux de la rampe. Elle fut la lumière, l’énergie et le renouveau à Paris. Elle réalisa son plus grand rêve : fonder une famille aux mille couleurs et donner de l’amour, celui-là même dont elle avait tant manqué dans son enfance dans le Missouri. Aujourd’hui, l’écrivain Régis Debray, soutenu par les enfants de Joséphine, surprend tout le monde en militant pour son entrée au Panthéon. Joséphine y trouverait facilement sa place, croyez-moi.

A lire :
Les Mémoires de Joséphine Baker, recueillies par Marcel Sauvage et assorties de 29 dessins de  Paul Colin, ノditions Dilecta, 2006

Un château sur la lune, le rêve brisé de Joséphine Baker, Jean Claude Bouillon-Baker, Editions Hors Collection, 2012

La Véritable Joséphine hine Baker, Emmanuel Bonini, Paris, Editions Pygmalion, 2000

Joséphine Baker contre Hitler, Charles Onana, Editions Duboiris, Paris, 2006
A voir  :

Zouzou, Marc Allégret, 1934

Reportage   (A voir absolument) : Un noël chez Joséphine Baker et sa tribu

http://www.ina.fr/video/CAF90021986

J’ai deux amours  : https://www.youtube.com/watch?v=e5mcW4woXWk

Banana Dance  : https://www.youtube.com/watch?v=wmw5eGh888Y

Dernier interview 1975, Bobino  : https://www.youtube.com/watch?v=vp-_JD_dAtg

Film sur sa vie (en anglais)  : https://www.youtube.com/watch?v=Ggb_wGTvZoU

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