Littérature

Françoise Sagan ou la fragilité d’un écrivain

« Sagan, Françoise. Fit son apparition en 1954, avec un mince roman, « Bonjour Tristesse », qui fut un scandale mondial. Sa disparition, après une vie et une œuvre également agréables et bâclées, ne fut un scandale que pour elle-même ».

C’est en 1988 que la romancière rédige ainsi son épitaphe.

Françoise Sagan est née le 21 juin 1935 à Carjac dans le lot et meurt le 24 septembre 2004 à Honfleur d’une embolie pulmonaire. Issue d’une famille de la grande bourgeoisie, elle passe son enfant à Paris dans le 17ème, une enfance épargnée par les pénuries de la seconde guerre mondiale.

La scolarité de Françoise Sagan est mouvementée, mais elle lit beaucoup. Elle aura 17/20 au baccalauréat à l’épreuve de français, et s’inscrit à la Sorbonne.

En parallèle elle fréquente les boites de nuit de St Germain des Prés où elle côtoie la jeunesse parisienne bourgeoise, l’alcool et la drogue.

Elle lit Sartre et Camus tout en fréquentant les clubs de jazz du quartier latin et rate ses examens à la Sorbonne. Mais fascinée par la lecture des « Illuminations » de Rimbaud, elle écrit en quelques semaines « Bonjour Tristesse », tiré d’un vers de Paul Eluard.

Ses parents refusant qu’elle utilise son nom de jeune fille Quoirez, elle emprunte son pseudonyme Sagan à un personnage de Marcel Proust, la princesse de Sagan, pour publier son premier roman « Bonjour Tristesse » qu’elle écrit à 18 ans, en 1953, et publié en 1954. Immense succès d’un livre qui a été décrié en suscitant la polémique, et traitant du désir sexuel d’un point de vue féminin, racontant l’éveil à l’amour d’une adolescente à la fois innocente et perverse.

« Bonjour Tristesse » reçoit le Prix des Critiques pour la presse grand public et est encensé par François Mauriac, qui dira sur Sagan ces mots « la férocité lucide de la petite fille dont le talent littéraire n’est pas discutable »…2 millions d’exemplaires vendus. Otto Preminger adaptera le livre avec Jean Seberg et JP Belmondo.

La même année, sur demande de son amie, Florence Malraux, elle écrit des articles sur l’Italie, « Bonjour Naples », « Bonjour Capri »… seront sa signature, sa marque.

En 1955, elle se lie d’amitié avec Juliette Gréco, puis elle part à New York faire la promotion de « Bonjour Tristesse » et rencontre Guy Schoeller, éditeur qui deviendra son mari quelques années plus tard, elle devient l’amie intime de Bernard Frank et Jacques Chazot.

Son deuxième succès « un certain sourire » lui permet de gagner beaucoup d’argent qu’elle dépense sans compter dans les casinos, les boites de nuit et les voitures de sport.

En 1957, Françoise Sagan a un grave accident de voiture au volant de son Aston Martin, elle sera entre la vie et la mort et sera ensuite dépendante aux médicaments, alcool et drogue face à ses souffrances. Elle épouse Guy Schoeller, puis divorce en 1960. En 1961, elle signe le manifeste des 121, a une idylle avec Pierre Bergé et des projets de mariage avec Massimo Gargia. En 1962, elle épouse Robert Westhoff, sculpteur, ils auront un fils Denis, le couple se sépare en 1972. a partir de 1976, elle aura une relation durant une quinzaine d’années avec la styliste Peggy Roche, compagne jusqu’au bout, aux côtés de laquelle elle sera enterrée.

Françoise Sagan signe la « Déclaration sur les droits à l’insoumission dans la guerre d’Algérie » en pleine guerre d’Algérie., puis en 1971, elle signe le manifeste des 343 femmes qui déclarent avoir avorté illégalement et fait don de ses droits polonais à Solidarnosc « je ne suis inscrite à aucun parti politique, mais je suis engagée à gauche. Je déteste tuer, s’il y avait une guerre, je m’en irai, où ? je ne sais pas… Mais si il y avait une invasion fasciste, je me battrais. Contre une cause indigne, je me battrais ».

Début 1980, elle se lie d’amitié avec François Mitterrand.

Sa vie trépidante défraie la chronique mondaine et la chronique judiciaire avec les affaires de drogue, ou de fraude fiscale et même d’espionnage. A la fin de sa vie, elle est ruinée et ne pouvant plus subvenir à ses besoins, elle sera logée chez une amie, gravement malade elle décèdera en 2004.

Drogue et ivresse de la vitesse se côtoient et après des années de morphine pour calmer ses douleurs, elle se met à boire. La drogue lui donne du courage car Sagan est une grande timide.

Intelligente, simple et modeste, directe, d’une grande humilité, elle se mettait à égalité avec les gens qu’elle rencontrait. Les rencontres essentielles de sa vie sont Billie Holiday, Tennesse Williams, Ava Gardner, Orson Welles…

Qualifiée de romancière nouvelle vague avec « Bonjour Tristesse », au regard lucide et désabusé, les écrits de Françoise SAGAN sont le refuge de sa solitude.

Le besoin d’écrire la taraude : « écrire est la seule vérification que j’ai de moi-même… J’ai toujours l’impression d’aller à un échec relatif. C’est à la fois fichu et gagné, désespérant et excitant ».

Son écriture est comme une petite musique mélancolique au ton en apparence nonchalant, au style immédiat et détaillé.

Les thèmes de ses romans sont sur la fragilité des liens amoureux, l’ennui dans l’élégance, la bourgeoisie désabusée, les soirées arrosées et mélancoliques dans les boites de nuits, la vie facile, cynisme et sensualité, indifférence et oisiveté.

Si l’œuvre de Françoise Sagan est « légère, nonchalante et cruelle », on joue, on ment, on s’ennuie, on souffre. Ses personnages se rencontrent, s’amusent, s’aiment, se désaiment, se quittent, se retrouvent seuls puis ils oublient l’amertume et la tristesse, et repartent à la chasse au bonheur.

Françoise Sagan se glisse dans ses personnages avec une aisance remarquable, une complicité touchante et juste.

« l’amour c’est comme l’argent, il se dépense, et plus tard il se pense »

Si elle préfère écrire des romans, (« bonjour tristesse » 1954, « un certain sourire » 1956, « dans un mois, dans un an » 1957, « aimez-vous Brahms ? » 1959, « les merveilleux nuages » 1961, « la chamade » 1965, « le garde du cœur » 1968, « un peu de soleil dans l’eau froide » 1969, « des bleus à l’âme » 1972, « un profil perdu » 1974, « le lit défait » 1977, « le chien couchant » 1980, « la femme fardée » 1981, « de guerre lasse » 1985, « un sang d’aquarelle » 1987, « la laisse » 1989, « un orage immobile » 1989, « les faux-fuyants » 1991, « un chagrin de passage » 1993, « le miroir égaré » 1996) elle écrit également des pièces de théatre, « le rendez-vous manqué » 1958, « château en Suède » 1960, dont elle obtient en 1960 le Prix du Brigadier, « les violons parfois » 1961, « la robe mauve de Valentine » 1963, « bonheur, impair et passe » 1964, « le cheval évanoui » 1966, « l’écharde » 1970, « un piano dans l’herbe » 1970, « il fait beau jour et nuit » 1978, « l’excès contraire » 1987).

Elle écrit des scénarios, des biographies (« Sarah Bernhardt : le rire incassable» en 1987) et autobiographie (« avec mon meilleur souvenir), des nouvelles (« des yeux de soie », 1975, « les fougères bleues » 1979, « musique de scène » 1981, « la maison de Raquel Vega »1985), des mémoires, (« avec mon meilleur souvenir » 1984, « et toute ma sympathie » 1993, « derrière l’épaule » 1998), journal (« toxiques » 1964) , entretiens (« réponses » 1975, « répliques » 1992), chroniques de 1952 à 1962 (« au marbre » 1988).

De 2007 à 2008, elle écrit aux Cahiers de l’Herne « Bonjour New York », « un certain regard », « maisons louées », « le régal des chacals », « au cinéma », « de très bons livres », « la petite robe noire », « lettre de Suisse ».

Au cinéma Françoise Sagan écrit des scénarios et réalisation :

« Landru » 1963, scénario (réalisé par Claude Chabrol), « le bal du comte d’Orgel » 1970 dialogues (réalisé par Marc Allégret), « encore un hiver » 1970 scénario et réalisation, «les Borgia ou le sang doré » 1977 co-scénariste (réalisé par Alain Denhault), « les fougères bleues » 1977 réalisation et adaptation.

En 1979, Françoise Sagan sera la Présidente du festival de Cannes.

En 1985, Françoise Sagan reçoit le Prix de Monaco pour l’ensemble de son œuvre.

En juin 2008, sort un film « Sagan » à volonté biographique dont le thème est la vie de Sagan, réalisé par Diane Kurys, la comédienne Sylvie Testud interprète avec une justesse et une troublante et incroyable mise en scène l’écrivain Françoise Sagan.

Son fils Denis Westhoff confie à JM Roberts aux éditions stock un texte inédit « Toxique » sur sa cure de désintoxication dans lequel elle exprime sa peur de la déchéance et de la mort., ce livre sortira en octobre 2009.

Françoise Sagan dont le style de vie décalé tant sur le plan de l’avoir que de l’être et dont ses œuvres s’en inspirent en mettant en exergue l’ennui et la fuite dans l’alcool, a incarné une insolence et une fraîcheur, elle était avant tout un être vrai et libre et restera dans l’histoire comme un mythe dont la notoriété dépasse les frontières de l’hexagone, totem d’une époque faite de liberté et d’insouciance.

Françoise Sagan aura réussi à faire ce qui lui plaisait : vivre en écrivant, mais la notoriété n’était pas l’essentiel pour elle. Elle aimait l’insouciance sans être superficielle ni futile. Intelligente, simple, modeste, directe, d’une grande humilité, elle se mettait à égalité avec les gens qu’elle rencontrait.

Françoise Sagan était une personne attachante et vraie, à l’humour lucide, sincère, libre et généreuse dont la vraie grande passion était celle de l’écriture.

« Aimer, ce n’est pas seulement « aimer bien », c’est surtout comprendre »

Quelques romans :

« Aimez-vous Brahms ? », quatrième roman de l’écrivain, porté à l’écran par Anatole Litvak, avec Ingrid Bergman, Yves Montand et Anthony Perkins.

Paule, la quarantaine, décoratrice, délaissée par son amant se laisse séduire par un jeune homme de quinze ans plus jeune qu’elle.

Françoise Sagan livre un portrait tendre, ironique et lucide d’une femme tout en subtilités et douceur. C’est un roman fin et subtil, très poignant, où l’on retrouve les impitoyables paradoxes de l’amour : l’étonnement d’une rencontre et la difficulté d’aimer dans un style simple, captivant qui nous plonge dans la vie parisienne et le vide de nos vies centrées sur elles-mêmes.

« La Chamade », écrit en 1965, a été adapté au cinéma en 1968.

Françoise Sagan livre une vue acerbe sur le milieu mondain, ses futilités, mais aussi une vraie histoire, les sentiments contradictoires et la complicité entre deux amants.

Lucile vit grâce à l’argent de son amant Charles qu’elle accompagne au théatre, les cabarets et dîners mondains du Paris des années 1960. Elle rencontre Antoine dans une soirée, leur liaison devient une passion qui bouleverse tout.

Ce roman démontre combien Françoise Sagan sait décrire avec subtilité ce que peut ressentir une femme.

« Dans un mois, dans un an », est un roman qui met en scène un groupe d’amis, d’amants pendant un an, où tout bouge, mais finalement au bout d’un an, rien n’aura changé. Les Maligrasse, éditeurs parisiens reçoivent beaucoup, Alain qui aime en secret une comédienne, Bernard, romancier, qui tente de séduire une femme, Edouard, qui perd son amour, tous dans l’ivresse de poursuivre des rêves illusoires tout en faisant le malheur de leurs proches sont à la recherche vaine et éternelle du sens de la vie sociale et de la vie tout court !

« les merveilleux nuages » roman écrit en 1961 évoque Josée épouse d’Alain, qui découvre lors d’un séjour en Floride, les névroses, la jalousie maladive, l’alcoolisme et le jeu pervers dans lequel il l’entraîne. Josée devra résister face à un homme qui menace de se tuer si elle le quitte.

Dans ce roman où les êtres s’entredévorent, Françoise Sagan montre une femme en lutte.

« des bleus à l’âme » publié en 1972 mélange les genres du roman et de l’essai.

Sébastien et sa sœur Eléonore installés dans un meublé parisien, la quarantaine, méprisant toute forme de travail, se mettent en quête d’une bonne âme pour subvenir à leurs besoins. Nora, américaine d’âge mûr sera leur proie, ils rencontreront également Robert imprésario et son protégé Bruno.

« le lit défait » en 1977 relate la lutte incessante contre une passion dévorante entre Edouard, acteur dramatique et Béatrice brillante comédienne de boulevard. Cet ouvrage relate les amours quelque peu théatrales de deux artistes.

« de guerre lasse » sorti en 1985, évoque trois portraits dans la tragédie de la guerre, Charles, Alice et Jérôme.

« un orage immobile » sorti en 1989, dans lequel Françoise Sagan évoque une bourgeoisie un peu désabusée, les plaisirs de la fête et l’illusion fugace du bonheur.

Le récit est rapporté par Nicolas quelques années plus tard, et qui au fil des souvenirs va tout confier dans son carnet et ressusciter l’impossible amour et la progressive montée des orages provoquée par Flora. Une tranquille histoire d’amour, puis un drame plein de bruit, de fureur et de passion qui se passe à Jarnac.

« un chagrin de passage » roman sorti en 1993.

Mathieu, 40 ans, architecte est atteint d’un cancer du poumon, il a six mois à vivre.

Mathieu décide de se retourner sur sa vie et se tourne sur les femmes de sa vie : Sonia, sa maîtresse, Hélène son épouse, Mathilde la seule femme qu’il ait aimé.

« le miroir égaré » paru en 1996 évoque les relations entre François et Sybil, couple parisien qui évoluent dans le milieu littéraire. Leur rencontre avec Mouna va bouleverser leur amour quand François succombe à ses avances pour la carrière de Sybil, mais cette trahison va bientôt détruire leur amour.

« Aimer, ce n’est pas seulement « aimer bien », c’est surtout comprendre »

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2 Comments

  • Reply
    laurence
    29 août 2010 at 11:23

    La maison d’édition « les cahiers de l’Herne » a édité en 2008 « De très Bons livres » de Françoise Sagan, après le décès de l’écrivain.
    Ce Carnet d’articles de F. Sagan regroupe un ensemble de textes ayant pour thème commun le goût de l’écriture, celui de la lecture et celui enfin des grands écrivains. Centrés sur des interrogations qui se recoupent et se complètent, ils offrent une approche limpide de sa pensée, de sa réflexion et de son style. On y trouvera, entre autres, des commentaires, des confidences, des réflexions inspirées par ses propres livres – Un profil perdu, Dans un mois, dans un an –, par S. Fitzgerald, Sand et Musset, ou par J.-P. Sartre, avec qui elle s’était liée d’amitié.

  • Reply
    Alain Servais
    28 août 2010 at 0:21

    Comment a-t’elle pu écrire aux Cahiers de l’Herne de 2007 à 2008 alors qu’elle est décédée en 2004?

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