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Brisa Roché – Invisible 1

La chanteuse américaine Brisa Roché revient avec un nouvel album intitulé Invisible 1. Cet album varié et créatif n’est qu’un parmi les nombreux projets de cette musicienne présente sur tous les fronts.

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Un peu à l’image de Jean-Louis Murat qui a toujours trois albums sur le feu, Brisa Roché multiplie les projets. Si son nouvel album s’appelle Invisible 1, c’est qu’il y aura un Invisible 2 et peut-être même un Invisible 3. En effet, les treize titres choisis sont issus d’un ensemble qui en compte une quarantaine ! Très différents les uns des autres, ils créent la surprise à chaque piste. L’intro au clavecin de Night Bus cohabite avec les riffs de guitare électrique de Vinylize ou la boîte à rythme qui constitue le fond sonore de Baby Come Over, au texte très « Desperate Housewives » et au refrain qui se rapprocherait presque d’un jingle publicitaire. Tout cela fait qu’on ne s’ennuie pas une seconde à l’écoute de cet album, qui parvient malgré toutes ces surprise à conserver une unité. Un joli exercice de style !

A écouter : Lit accent, Groupie, Each one of us, Diamond snake, Vinylize

Si tu devais te présenter en quelques mots…

Une étrangère.

Peux-tu nous raconter tes débuts sur scène ?

La légende veut que lorsque j’avais deux ans, nous sommes allées avec ma mère dans un restaurant où une chanteuse se produisait sur scène. Je me suis approchée et j’ai dit « I want to be there ». Alors la chanteuse m’a fait monter et j’ai chanté une chanson. C’était ma première scène.

Et ensuite ?

Ensuite, j’ai fait partie d’une chorale d’enfants. La prof utilisait une méthode soufi, qui amenait de la spiritualité dans le chant. Avec cette chorale, je suis partie à l’âge de treize ans en Roumanie et en Russie, c’était juste après la chute du rideau et ça a été l’apothéose de mon expérience avec ce groupe. Ensuite, avec ma famille, on est partis vivre à la montagne, sans électricité et sans téléphone. Du coup, j’ai commencé la guitare et je suis devenue comme obsédée par la poésie. Ces poésies sont très vite devenues des chansons, que j’ai jouées devant mes amis. A 16 ans, j’ai déménagé à Seattle. J’étais autonome et j’ai acheté un permis pour jouer sur la grande place du marché, qui permet de faire la manche officiellement. A 18 ans, je suis venue en Europe et j’ai continué à jouer dans la rue et dans le métro. J’ai été découverte par un squat qui venait alors d’ouvrir : c’était le Glazart. J’y ai rencontré d’autres musiciens, avant de tenter un groupe en déménageant à Portland. Là bas, quand tu es une fille qui ne se drogue pas, avec une voix aiguë et des cheveux longs, tu es immédiatement cataloguée comme chanteuse folk. Sauf que ça ne correspondait pas à mon vécu. A la même époque, PJ Harvey avait sorti son album Dry, et j’ai commencé à composer dans ce sens. Les gens ne comprenaient pas…

Etonnamment, je me suis mise à chanter des vieux standards du jazz ; j’ai toujours été fascinée par la années 1940. Je trouve l’histoire du jazz magique et je me suis rendue compte que je pouvais en faire. Suaf qu’aux Etats-Unis, il n’y a pas d’école de jazz formatée. Là-bas, c’est un truc de vieux mecs alcooliques. Comme j’avais perdu mon père à cause de l’alcoolisme deux ans auparavant, c’était peut-être pour moi un moyen de le retrouver. Au départ, personne ne voulait que je fasse ça. Dans le jazz, il y a des codes simples mais personne ne te les dit. Il a fallu apprendre sur le tas. C’était intrigant mais le fait de ne pas chanter mes compositions m’apportait une sorte de protection. Comme je suis têtue et courageuse, j’ai persisté et je comptais lancer un projet électro jazz en Europe. La chute des tours à New-York en a décidé autrement, et le collègue avec qui je devais faire ce projet est tombé dans un escalier et s’est cassé les deux bras et une jambe. Du coup, comme je n’avais plus un rond, j’ai joué dans les clubs de jazz de New-York. C’est une expérience très enrichissante, qui m’a vraiment formée pour le live. Le côté émotionnel et spirituel est très important. C’est à cette époque que j’ai signé chez Blue Note.

Ce n’est pas ton premier album. L’as tu envisagé différemment des précédents ?

Oui, il y a de vraies différences, surtout dans l’écriture des textes, qui est plus légère, moins poétique, même si je garde les mêmes obsessions. Chaque projet est différent. Celui-ci fait partie d’un ensemble de quarante morceaux. Ensuite, je voulais arranger et écrire comme ça venait, même si ça ne me ressemblait pas… Au départ, j’enregistrais dix secondes de voix, qui servaient de base à une piste. Par dessus, j’enregistrais en temps réel, en rajoutant des couches et des couches d’idées, venant de plusieurs personnes. C’est difficile de partager, quand l’album est son bébé. Mais là, j’avais décidé dès le départ d’un bébé qui ne me ressemble pas… même s’il me ressemble quand même ! Mais dans l’enregistrement final, la voix originelle reste. Et parmi les quarante morceaux, j’ai choisi les plus commerciaux… Il n’y a pas de honte à ça ! Celui-ci s’appelle Invisible 1, il y aura un Invisible 2 à venir.

Brisa Roché1

C’est difficile de mélanger ainsi tous les styles ?

Ce n’est pas difficile, sauf pour sa carrière ! Les gens du milieu ou ceux qui vous suivent aiment savoir à quoi s’attendre et pouvoir vous cataloguer. En réalité, c’est vraiment l’arrangement qui donne le style du morceau. A la première maquette, tout les titres se ressemblaient. J’aurais joué la même piste avec un banjo et un harmonica, ça aurait été du blue grass, avec une trompette, du jazz, avec des grosses guitares, du hard rock…

As-tu aimé utiliser certains instruments plutôt que d’autres ?

Sur cet album, il ne reste au final plus beaucoup d’instrumental de moi. Ce n’était pas comme d’habitude, où on fait le plus souvent rejouer la maquette, tout simplement. Chaque piste a été discutée.

Comment choisis-tu les thèmes sur lesquels tu écris ?

J’ai voulu explorer de nouveaux thèmes. Je me suis laissée aller au R n’B, au rap, avec quelques vocalises à la Beyoncé. Ce n’est pas ma culture mais après tout, je suis américaine et c’est ma génération. Du coup, j’ai pas mal écrit sur le fait de baiser en voiture. C’est le thème de tous les clips de hip hop ou presque. Et je me suis dit que ça serait trop drôle si j’écrivais là-dessus. Du coup, il y a un certain nombre de morceaux sur le sujet parmi les quarante. Je ne sais pas combien exactement dans Invisible 1.

Plutôt scène ou studio ?

La scène, c’est quelque chose de vraiment curieux. Il y a toujours du doute et de l’insécurité. Ca arrive de ne pas être juste, de ne pas être belle, d’avoir le sentiment que le spectacle n’est pas comme il faut. Mais assez régulièrement, j’ai ce sentiment d’être là au bon endroit et au bon moment. C’est un endroit où l’empathie peut sublimer les excès, les maladresses, les peurs… Tout ce qu’on vit universellement. Et si techniquement, c’est un jour sans, spirituellement, ça peut le faire. Il faut juste accepter de se mettre en danger, accepter d’être ridicule. Et ça, c’est rock n’roll.

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Des projets à venir ?

Ca fait deux ans que je n’étais pas revenue en France. J’aimerais m’y réinstaller, trouver un endroit où je pourrais à la fois avoir un atelier de peinture et un studio. La peinture, la couture et la cuisine me manquent. Je suis de plus en plus prolifique. J’ai même enregistré avec mon studio portable de merde. Le problème c’est que Invisible 2 est déjà prêt, j’ai aussi un album post punk, dix-sept morceaux d’un album folk, dix-sept autres morceaux enregistrés avec un mec sollicité pour l’album… J’aimerais tout sortir, pour ne pas avoir à défendre tout ça deux ans après les avoir écrits… Mais c’est impossible. J’aimerais bien faire aussi un album de jazz.

Notre magazine s’appelle Save my Brain… Sauver les cerveaux. Comment peut-on le faire ?

Moi, je sais ! Il faut mémoriser des poèmes. Il faut rechercher celui qui exprime ce que tu ressens, pour pouvoir le ressortir dans un cas approprié. Tout dépend de la sensibilité des gens qui sont autour.

Peux-tu nous faire partager tes derniers coups de cœur culturels ?

J’ai adoré l’expo d’Iris van Dongen à la Galerie Bugada et Cargnel. Ensuite, je repense à plusieurs coups de cœur de ma playlist ; Kate Wolf, par exemple. Ses derniers morceaux, ceux qu’elle a chanté alors qu’elle allait mourir sont une démonstration de beauté. These Days en particulier. Et quelques titres de Willie Nelson me reviennent aussi en tête.

Photos : Nicolas Meunier

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