Littérature

Dôme de Stephen King, ou la mise sous cloche d’une ville

Le Dôme : personne n’y entre, personne n’en sort.

A la fin de l’automne, les habitants de la petite ville de Chester’s Mill dans le Maine, sont brutalement isolés du reste du monde par un champ de force invisible et livrés à eux-mêmes. Personne ne comprend ce qu’est ce dôme transparent, même l’armée semble impuissante à ouvrir un passage. Tandis que les ressources à l’intérieur de Chester’s Mill se raréfient, les passions s’exacerbent, les rancœurs et ambitions de chacun se dévoilent…

Dôme est un huis clos dantesque. On y suit le destin de la population hétéroclite d’une petite ville de province de 1 200 habitants. Quelques lignes suffisent à Stephen King pour dresser les portraits précis d’une centaine de personnages (dont trois chiens !). En tant qu’entomologiste omnipotent, il observe et dissèque d’une manière très cruelle et froide, sans fioritures, les caractères et comportements de citoyens américains lambda.

Stephen King place encore une fois l’action dans l’Etat du Maine, à proximité de Portland et des lieux de plusieurs autres romans (dont Salem). Il enrichit encore un peu plus son univers déjà géant et comme à son habitude, établit des connexions subtiles avec certains de ses autres romans.

L’intrigue se déroule dans un contexte banal, actuel, dans une ville qui pourrait exister (j’ai d’ailleurs fais une recherche Google à ce sujet !) : Boston ne se situe pas très loin, à quelques heures de voiture, les gens utilisent Facebook et des ordinateurs Mac, les ados de la ville sont amateurs de skate et fument des clopes en cachette… Toutes ces mentions, émaillées ici et là tout au long du récit, renforcent un sentiment de proximité et permettent une plongée très rapide dans l’univers de nos protagonistes.

Très rapidement, on se surprend à réfléchir à ce que l’on ferait dans telle situation : ferais-je partie de ceux qui essayent de comprendre, de ceux qui se replient sur eux-mêmes, de ceux qui en profitent, de ceux qui laissent leurs plus bas instincts prendrent le dessus ?

Car c’est bien là que réside le coup de maître de King : l’horreur est réaliste, issue du quotidien. Et les sentiments d’impuissance et d’impunité qui croient au fil des pages, ne font qu’ajouter à l’état de tension permanente qui assaille le lecteur d’un bout à l’autre des 1200 pages du roman.

Stephen King relate l’éclosion d’une tyrannie ordinaire, fruit des agissements d’un élu de la ville, qui sous couvert d’agir pour le bien de la communauté, n’hésite pas à instrumentaliser la terreur pour assouvir sa soif de pouvoir. « Telle était la raison principale pour laquelle il n’avait jamais seulement envisagé de quitter Chester’s Mill. Il aurait pu se faire davantage d’argent dans le vaste monde, mais la richesse était la petite bière de l’existence. Le pouvoir en était le champagne. » Laborieusement la résistance s’organise, mais « le pire, c’est qu’on n’a pas encore vu le pire ».

Dôme n’est pas seulement une chronique de l’amour du pouvoir et de ses dérives, c’est également une franche critique du fanatisme religieux, du parti conservateur et de ses institutions fondamentalistes, de l’Amérique profonde paranoïaque et raciste de Bush. « Les deux grandes spécialités des États-Unis sont les démagogues et le rock and roll, et à notre époque, nous avons eu largement droit aux uns comme à l’autre. »

Stephen King n’hésite pas à faire appel à un humour noir très grinçant, lorsqu’il décrit notamment les forces de police de la ville et les représentants religieux de la communauté : l’une, pasteur congrégationniste, ne croit plus en Dieu et s’adresse à Lui en l’appelant le Grand Absent ; l’autre, prêtre traditionnaliste, amateur de beautés orientales dénudées, trempe dans les affaires louches du 2ième adjoint.

Tout est tellement réaliste, crédible, qu’on en vient presque à regretter l’aspect ouvertement fantastique de la fin du livre. Une fin brutale, apocalyptique, qui vient mettre un terme à cette lente et méticuleuse mise en place des pièces du puzzle. Evidemment avec Stephen King, il ne fallait pas s’attendre à un happy end.
On pourra reprocher à l’auteur le manichéisme omniprésent, mais la résolution de l’intrigue me paraît tout de même satisfaisante, bien que peu originale, voire « mystico-mystifiante ». J’avoue qu’arrivée au 2/3 du bouquin, je me demandais avec quelle astuce il allait pouvoir conclure, et l’option fantastique est finalement un bon choix.

King nous avait habitué à une présentation parfois trop longue des personnages, un déclenchement tardif de l’intrigue, ici on entre direct dans le vif du sujet. Les chapitres s’enchainent très vite, le rythme est très rapide, aucune longueur n’est à déplorer, les multiples trames sont passionnantes bien que pour le coup, les « héros », décrit plus succinctement, soient moins attachants. Pour les lecteurs amateurs de personnages au profil psychologique très travaillé, profonds, je vous conseille la lecture de Misery, ainsi que Cujo (premier roman à m’avoir soutiré une larmichette !).

Avec les deux tomes de Dôme, l’humble professeur de littérature anglaise croque un portrait de son Amérique loin d’être flatteuse. Il est intéressant de noter que Stephen King avait commencé à écrire Dôme en 1976 puis qu’il avait abandonné l’idée, pour finalement s’y remettre trente ans plus tard.
Dôme est finalement sorti en mars 2011 dans nos contrées et a été accueilli favorablement par la critique, marquant ainsi le retour en force du maître du genre. Je vous le recommande fortement !

« Une idée, c’est comme un microbe en sommeil : tôt ou tard, quelqu’un finit par l’attraper. »

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1 Comment

  • Reply
    Lou
    21 mai 2012 at 11:23

    Merci pour ta présentation qui explique sans pour autant tout dévoiler. Bien tentant en tout cas. Suis souvent assez fan des huis-clos qui exacerbent la réalité. Et oui ta question de savoir quel comportement j’adopterais dans pareil cas me taraude.

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