Créateur de mode

Thierry Mugler

Depuis 20 ans maintenant, Christophe Delataillade a gravi les échelons au sein de cette maison. D’abord assistant du créateur, il est à présent au poste de Directeur de Création. Qui mieux que lui, depuis deux décennies aux côtés d’un homme qu’on peut sans crainte qualifier d’artiste, pouvait retracer l’histoire et l’univers du personnage ? Le créateur lui-même me direz-vous et vous n’aurez pas tort. Mais c’est ainsi que Christophe Delataillade nous a fait profiter d’une once de son temps, nous présentant son travail mais surtout, nous dépeignant l’univers magique et étoilé dans lequel évolua et évolue encore ce grand enfant qu’on connaît sous le nom de Thierry Mugler.

De l’eau de rose au jus bleu, un petit aperçu du parcours du Directeur de Création

Le jeune Christophe était alors traducteur de romans à l’eau de rose, à des années lumière de l’univers étoilé dans lequel il allait entrer, quand la vie nocturne parisienne lui permit de rencontrer Dauphine de Jerphanion, l’égérie de Thierry Mugler de l’époque, et Jean-Luc Suchet, qui lui, était son attaché de presse. Par ces amis, il apprit que Thierry Mugler recherchait un nouvel assistant. Des assistants, il en avait déjà eu un certain nombre, mais il semblait les user assez vite. Christophe entreprit alors de se présenter, pensant n’y rester que quelques mois. Mais voilà, il est toujours dans la maison Thierry Mugler, installé dans un bureau bleu pâle, couleur envahissante qui orne tout le siège social, apportant sérénité et surtout projetant visiteurs et travailleurs dans la galaxie Mugler.

C’est ainsi que le jeune assistant, assistant de style, assistant photo, est devenu Directeur Image Parfum, ayant en charge toute la création visuelle en lien étroit avec Thierry Mugler, pour enfin arriver au poste de Directeur de Création, veillant à ce que l’image de Thierry Mugler soit fidèlement retranscrite.

Proche du créateur, il nous parle de l’homme et de la marque.

De danseur étoile à un autre monde de paillettes

Passionné par la danse, rempli d’énergie, et peu adepte de la discipline scolaire, le petit rat strasbourgeois qu’est Thierry Mugler entre dans le ballet du Haut-Rhin. Après plusieurs années rythmées au son des opéras, il abandonne la scène. Et c’est au hasard de ses voyages, passant à Amsterdam ou à Paris, à une époque durant laquelle subsistait un melting pot entre le milieu de la danse et le milieu d’une nouvelle mode qui allait apparaître, qu’il s’est transformé en créateur de mode. Cette période a vu naître un certain nombre de créateurs : la bande de copains de Thierry Mugler, tels qu’Alaïa, Chantal Thomass ou Anne-Marie Beretta.

Thierry Mugler a la passion du spectacle, il n’a pas fait d’école de style telles que Berçot ou Saint Martin, et c’est son passage chez Cardin qui acheva de le former. La danse est un univers magique, dans lequel paillettes des costumes et scènes de théâtre se mêlent. Alors dans cette époque où la mode s’est vraiment mise à émerger, Thierry Mugler ressentit le besoin d’exprimer sa fougue créatrice. Thierry Mugler danseur, devient alors Thierry Mugler créateur.

Mais il n’a pas abandonné cette passion de la danse, ni cette formation artistique. Influencé par cet univers, il a toujours été préoccupé par l’anatomie. Il l’entravait ou l’exacerbait. C’est d’ailleurs ce qu’on lui reprocha : des silhouettes extrêmement cambrées et déhanchées que seul un danseur ou un chorégraphe sauraient apprécier. Mais, après tout, la mode n’est-elle pas un art ? Son travail est à l’image du personnage, il s’inspire de son vécu, et ose bousculer les barrières et affirmer ce qu’il est et ce qu’il aime. Pour lui la manière de porter le vêtement est aussi importante que le vêtement lui-même. Tout est affaire de mise en scène, et son passage sur scène lui apprit comment faire de ses défilés des spectacles de rêve.

C’est aussi cette passion exacerbée pour le spectacle qui le poussa à participer à la création des costumes du célèbre Cirque du Soleil, donnant à la mode une dimension plus artistique et onirique.

La tête dans les étoiles, mais pas sous les projecteurs

Thierry Mugler a eu, à de nombreuses reprises, l’occasion de travailler avec des étoiles du cinéma, de la musique. George Michael ou Sharon Stone ont eu la chance de travailler avec lui. Accompagnant des images, des symboles de la culture musicale et cinématographique de notre époque, lui-même est symbole de mode, mais l’homme n’en est pas vraiment l’image contrairement à ses créations.

A une époque où tout le monde se doit d’être médiatisé, Thierry Mugler a fait le choix de ne pas se mettre en avant de cette manière. Il a préféré se démarquer, se faire connaître et reconnaître au travers de ses créations et de sa maison. Sa participation à différents spectacles tels que le Cirque du Soleil, ou le clip « Too Funky », de George Michael, n’ont pu que jouer en sa faveur et en sa renommée.

Thierry Mugler, plus qu’un homme, est un personnage. Il est très impressionnant quand on le voit. Massif musculairement parlant et énergique, il en impose, mais il reste assez timide. Loin d’avoir le tempérament d’un Gaultier ou d’un Lagerfeld, il ne s’exposera pas sur les talkshows et préférera de loin les entretiens privés avec des journalistes qu’il apprécie, des journalistes qui lui offriront un dialogue et qui ne s’intéresseront pas à la marque de ses dernières chaussures, ou de ses habitudes alimentaires. Comme nous l’a confié Christophe Delataillade, pour Thierry Mugler, s’afficher sur tous les plateaux télévisés, c’est un peu comme de la prostitution, il n’aime pas ça et ça le met mal à l’aise, mais surtout pour lui, il s’agit d’une perte de temps.

Notre galaxie vue et immortalisée par Thierry Mugler

Thierry Mugler, autodidacte en matière photographique, a une vision extrêmement complexe et précise de ce qu’il désire pour ses campagnes publicitaires. Pour les toutes première campagnes significatives de la maison Mugler, c’est le fameux photographe Helmut Newton qui s’en chargeait, mais Thierry Mugler, son désir bien ancré visuellement dans sa tête, passait son temps derrière l’épaule du photographe à donner son avis, ses instructions sur le maquillage, la mise en scène ou le décor, à un tel point, qu’il lui conseilla, fatigué, de s’acheter un appareil photographique et de faire lui-même ses campagnes publicitaires.

Il n’était pas à proprement parler un technicien de la photographie et ce n’était pas ce qui pouvait l’intéresser, comme c’était le cas pour d’autre photographes comme Françoise Huguier qui photographia les défilés Mugler. Le créateur n’a pas un amour de la photographie traditionnelle argentique comme peuvent l’avoir Françoise Huguier ou Cartier-Bresson. En fait, le jour où l’appareil photographique numérique professionnel est devenu d’une qualité suffisamment bonne pour mettre en valeur l’aspect poétique que Thierry Mugler désirait, il ne se gêna pas pour l’utiliser ; le principal étant que l’objet serve efficacement aux besoins et à l’univers onirique de l’artiste.

« Bleu, bleu, le ciel est bleu »… et étoilé

Univers empreint de clichés, mais des clichés universels et poétiques. Thierry Mugler aime le bleu, rien à voir avec le bleu pour les garçons et le rose pour les filles. Non, Thierry Mugler est un grand enfant lorsqu’il est dans le désert, à White Sands ou au Groenland, mais il en va de même pour Paris, il lève les yeux au ciel, et ne peut être qu’admiratif devant cette infini azuré ou bleu nuit. Christophe Delataillade nous a confié que finalement, si on retire tous les artifices, et qu’on le dépouille de tous ses moyens d’expression, il lui reste peu de choses essentielles. Le bleu, comme il le dit si bien, c’est finalement ce qui lui permet de continuer à rêver, quelles que soient les vicissitudes de la vie et les affres de la création, il lui reste toujours l’azur de ce ciel commun à tous.

Un chamboulement perpétuel des étoiles

Chez Mugler, leur image est souvent secouée, renouvelée. Il n’y a pas de bonne image Mugler, c’est une perpétuelle guerre des étoiles, à savoir que sera et comment sera la prochaine campagne.

Tout dépend de l’époque et du produit. Dans les années 70 jusqu’à la fin des années 80, la maison Mugler a beaucoup travaillé sur les personnages minuscules au milieu d’une immense étendue. Nous sommes finalement si petits dans cet univers incommensurablement grand.

A présent, Thierry Mugler s’est rapproché de son sujet, l’intimité est devenue l’intérêt majeur de ses campagnes publicitaires. L’humain est mis en valeur.

Ce qui signe l’image Mugler, c’est cette forme d’ésotérisme. Il fait souvent référence à des mythes particuliers ou à ses propres mythes, il a son imaginaire qu’il transpose dans ses créations. L’apparence est primordiale pour Thierry Mugler, tout doit être parfait, et offert au rêve.

Dans ses campagnes publicitaires, des making of sont régulièrement tournés, pour les journalistes, entre autres. Mais il serait inconcevable pour Thierry Mugler de montrer une fille avec des bigoudis sur la tête. La réalité doit constamment être sublimée. Un jour, alors qu’un reportage avait été tourné dans une usine à Anger, il était hors de question de montrer des employés en tenue de travail. C’est pourquoi, à cette occasion, Thierry Mugler avait dépêché des mannequins cabines qui prenaient la place des ouvrières sur les vidéos. Le mythe, quoiqu’il arrive et quoiqu’il advienne, doit être maintenu. Tout doit être extraordinaire, sinon, ça n’a pas lieu d’être montré et exposé.

Angel, ou une nouvelle étoile dans l’univers

L’idée de ce flacon complexe en forme d’étoile, a surgit dans la tête remplie d’imagination de Thierry Mugler, grâce à une bague en forme d’étoile en améthyste qu’il portait à cette époque (1992), et qu’il porte peut-être encore. Toujours immergé dans son imaginaire d’enfant, ébloui par la vue des étoiles et de tout l’attrait du céleste, l’ange comme symbole du parfum était une évidence, c’est l’ange gardien, la bonne étoile. Il a un aspect de sérénité, de Paradis.

Angel c’est un parfum à contre-courant de son époque. C’est le premier parfum dépourvu de note florale, mais aussi dans lequel il y avait du chocolat, qui est une note relativement inhabituelle, et qui a pratiquement été créée à cette occasion. Et puis, il y avait cette couleur bleue et intense, qui ne faisait penser à aucune fleur, Angel était un peu l’alien parmi les parfums. Tous ces éléments font que, à ce moment-là, l’arrivée de ce jus a été prise soit comme une provocation soit comme une grave erreur. Mais Angel a eu et a toujours son succès, grâce justement à cette originalité, aussi bien dans le parfum et le flacon que dans sa stratégie de lancement. En effet, chose qui ne pourrait plus se faire à notre époque, le parfum a d’abord été lancé en province puis dans la capitale française. A cette occasion, le créateur lança deux énormes camions dont l’intérieur avait été organisé, telle une exposition sur le parfum et sur l’univers de Thierry Mugler. Ils circulèrent partout en France. Le créateur venait au consommateur et non le contraire. C’était le Angel’s Tour.


Angel’s tour extérieur


Angel’s tour intérieur

Preuve de sa réussite ? Les nombreux avatars trouvés sur le marché.

Petite anecdote. Le flacon a créé du fil à retordre aux verreries Brosse. Et oui, sa complexité engendra au début des recherches sur son élaboration, de la casse. Une sorte de moule rotatif élaboré fut créé, pour que par un effet centrifuge, le verre se répartisse dans les branches des étoiles. Mais le flacon continuait de se briser. La température ou l’humidité en étaient la cause. Des réunions furent organisées pour trouver l’erreur et trouver la solution. Finalement, un ouvrier proposa de fermer un vasistas qui se trouvait au fond de l’atelier, et le problème de l’équilibre fut résolu.

Alien, ou l’objet non-identifié

Chez Alien, la symbolique et la thématique ne sont pas les mêmes que chez Angel. Chez Angel c’était l’étoile, l’ange, la diva et tout un caractère hollywoodien, alors qu’avec Alien, une dimension New Age en ressort. Alien, c’est un mythe, c’est comme l’a dit Christophe Delataillade, le défi d’inverser la perception qu’on peut avoir de ce mot. Souvent, alien fait référence à l’ailleurs qui ne nous veut pas du bien. Oui, Alien, c’est l’ailleurs, l’étranger, mais c’est l’étranger bienveillant.

Une nouvelle galaxie dans notre univers

Nouveau projet magique de la maison Thierry Mugler Parfum, la Blogalaxy arrive sur les écrans d’ordinateur. Interface étoilée sur laquelle chaque blog est une étoile bleue, violette ou rose selon nos goûts, tous les adeptes et disciples de la marque peuvent s’exprimer et se dévoiler dans cette galaxie nouvelle.

Le rôle de cet agréable monde ? Créer un lien encore plus étroit avec le consommateur et la consommatrice. Il fallait émerger au milieu de toutes ces marques de luxe qui prônent le lien avec le consommateur. Mais la définition de lien et de relation est-elle la même chez Thierry Mugler que pour les autres maisons, alors qu’aujourd’hui, on considère que le marketing relationnel a été perfectionné par la maison Mugler ? Grâce à ce lieu bleuté, les fidèles consommateurs ont un endroit privilégié sur lequel s’exprimer et se retrouver.

A travers ces vingt années chez Thierry Mugler, Christophe Delataillade a appris à connaître l’homme et le créateur. Il aime sa fraîcheur d’enfant, son enthousiasme. Toutes ses qualités se sont finalement transmises à la marque. Il aime son exigence de faire plus et de faire mieux, sa manière décalée d’entrer dans la tendance. Son sens de la précision, de la perfection et de la perception ; sa façon de s’attacher à tout ce qui n’est pas forcément visible à l’œil nu.

Oui, Thierry Mugler vit dans un autre monde, une autre planète, mais il s’adapte incroyablement bien, au commun des mortels, et c’est cet esprit enfantin et décalé qui fait son succès, et qui fait qu’on l’apprécie et qu’on respecte son travail. C’est un homme, un personnage, et non une figure du petit écran. On ne peut qu’aimer ce qu’il fait et ce qu’il est, au regard de la passion qu’il met dans son travail.

Site officiel : http://www.thierrymugler.com/

Blogalaxy : http://www.blogalaxy.fr/

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