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Jeanne Cherhal

Jeanne Cherhal, auteur-compositeur-interprète, trois albums, une Victoire de la Musique (en 2005), des reprises et même un personnage dans la comédie musicale « Le Soldat Rose ».

© Valérie Archeno

Méfiez-vous des apparences, cette jeune femme est vraiment étonnante. Au premier abord, on la croit fragile et tranquille. Mais en se plongeant dans son univers, on découvre une artiste au caractère bien trempé. Qu’elles soient enfantines, névrosées ou dénonciatrices, ses chansons sont toujours vives et justes. Difficile de rester insensible devant les portraits qu’elle dépeint avec humanité.

Jeanne Cherhal retrace pour Save My Brain, l’évolution qui a accompagné chacun de ses albums.

Partie 1 : Album éponyme

As-tu toujours voulu être chanteuse ? Quel a été ton parcours ?

Quand j’étais petite, je rêvais d’être médecin sans frontières. Plus tard, j’ai voulu être danseuse classique et étant ado je me voyais plutôt enseignante. A 20 ans j’ai écrit ma première chanson après un choc émotionnel face à un chanteur inconnu, puis d’autres ont rapidement suivi. Dès que j’ai eu quatre ou cinq chansons en poche, je suis allée les chanter dans des cafés, à Nantes, à la fac, dans des petites endroits. J’ai eu la chance qu’on me propose très vite des premières parties, des tremplins, des choses qui accélèrent un petit début de carrière. Et puis à partir de là, de l’année 2000 environ, j’ai beaucoup tourné. En piano-voix d’abord, puis avec mon guitariste Eric Löhrer et puis depuis un an en groupe.

Tu as sorti ton premier album, éponyme, en 2002. Il a été enregistré en public à Nantes. Pourquoi avoir commencé par un opus live ? Comment cela s’est-il mis en place ? Quel regard portes-tu maintenant sur cet album ?

Je n’étais pas prête au passage en studio, et ma maison de disques ne m’y a pas forcée. Je porte un regard assez attendri et un peu gêné aussi sur ce disque, attendri parce que je l’ai fait entièrement seule et que ce sont mes premières chansons, et gêné parce que j’y reconnais mal ma voix parfois.

« Avec des si », « Mes problèmes de relation », voilà des morceaux qui laissent songeurs. Es-tu timide ou ce sont de vrais morceaux de composition ? Au contraire, dans des morceaux comme « les bistrots les bastringues » ou « Ce soir », tu laisses éclater un vrai caractère. Finalement, comment te situes-tu parmi ces chansons ?

Je me situe exactement entre les deux ! Je pense que la timidité, qui s’accompagne souvent de doute et de remise en question permanente, n’est pas incompatible avec un côté explosif et extraverti. Je suis les deux !

Partie 2 : « Douze fois par an »

© Laurent Seroussi

Ton deuxième album, « Douze fois par an », est sorti en 2004. Première production en studio, comment l’as-tu abordée ?

Avec autant de crainte que d’excitation je crois. J’avais un grand respect pour le travail de Vincent Segal, qui a réalisé ce disque, et moi-même je ne connaissais rien au travail en studio, alors je lui ai fait totalement confiance et je crois que j’ai eu raison ! Les séances de studio m’ont passionnée mais j’avais encore trop peu de clefs en main pour m’investir comme j’ai pu le faire par la suite. J’ai le souvenir de séances très intenses et très spontanées à la fois, Vincent est quelqu’un d’exigent qui m’a de nombreuses fois emmenée plus loin que là où je serais allée seule.

Cet album est rempli de portraits. Tu racontes l’histoire du « petit voisin », de la jeune femme qui va se marier (« les photos de mariage »), en passant par la femme qui est tombée amoureuse d’un homme marié (« Un couple normal »). Où as-tu puisé ton inspiration ?

Dans les choses que je vis, que j’observe et que je fantasme chez le gens. Que ce soient des proches ou pas d’ailleurs. Les relations humaines sont une source d’inspiration infinie !

Grâce à cet album, tu as conquis le public, remporté une Victoire de la Musique. Comment as-tu vécu cette reconnaissance ?

Avec gratitude mais sans que ça m’étourdisse trop je crois. Je peux dire ça maintenant parce que c’était il y a deux ans et j’ai du recul, j’ai fait d’autres choses depuis. Une Victoire de la Musique n’est bien sûr pas une fin en soi, mais c’est une belle marque d’intérêt, une manière d’être remerciée pour son travail et surtout un encouragement à continuer ! Celle qu’on m’a décernée est celle choisie par le public, ça m’a beaucoup touchée, j’ai eu l’impression que c’était les milliers de gens que j’avais rencontrés sur la route qui me disaient bravo tous en même temps, ça fait un truc quand même ! Après, ce n’est pas la plus grosse émotion de ma vie non plus !

Partie 3 : « L’eau »

© Valérie Archeno

« L’eau », ton troisième et dernier album en date, est sorti en octobre 2006. C’est un « disque organique » qui marque une évolution importante dans ton univers. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Pour moi l’évolution la plus importante concernant mon travail dans ce disque a été mon implication dans la réalisation, dans les arrangements. Sans vraiment me poser de questions, j’ai composé et écrit les chansons de cet album en pensant aussi en parallèle à leur forme finale, et du coup j’ai préparé tout ça en faisant des maquettes. Au moment de passer en studio, je me suis aperçue que les principales idées et le son global de l’album étaient déjà là, j’ai fait appel à quelqu’un qui me connait bien et qui a été capable de m’aiguiller, de me guider tout en me laissant une grande marge de liberté, Albin de la Simone. Quant au terme « organique », il peut signifier tout simplement quelque chose comme un son « plein », « humain », je n’avais pas envie d’électro par exemple mais de creuser le travail autour de ma voix, j’avais envie qu’on puisse entendre de l’eau, des choses vivantes, quoi !

Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire un album concept autour de l’eau ? Comment se sont déroulés l’écriture et l’enregistrement ?

Je n’ai pas du tout envisagé de produire un album « concept ». L’eau et l’idée de fluidité, de liquidité, se sont imposées à moi au fil de l’écriture. Je me suis donné une année entière pour préparer l’album, et la plupart des chansons ont été écrites loin de chez moi, à la Réunion où je me suis réfugiée trois semaines pour travailler par exemple, ou dans les Alpes où j’ai également pu séjourner plusieurs fois en ermite pour bosser. Ce disque est né dans la solitude. Pas dans la douleur, mais pas vraiment non plus dans la plus grande sérénité !

Avec cet album, tu explores en profondeur les possibilités offertes par un studio. Comment parviens-tu à recréer sur scène cette ambiance aquatique ?

Par des procédés magiques que je ne dévoilerais pas ! Plus sérieusement, je n’ai pas la prétention de reproduire exactement le son d’un disque sur scène. Un concert c’est vivant, c’est variable, je ne sais pas trop comment le dire autrement!

Tu es en tournée depuis novembre dernier ? Comment cela se passe-t-il ? Quels sont tes meilleurs souvenirs ?

Les concerts se passent vraiment bien, et j’ai des tas de super souvenirs, notamment dans des salles du Nord par exemple, qui est sans conteste ma région préférée pour tourner ! J’ai eu l’occasion de chanter dans des salles un peu plus rock qu’avant, où le public est debout, et j’ai adoré ! Mais j’aime énormément le charme d’un théâtre à l’italienne aussi, ou l’imposant volume de certaines grandes salles de province… Autant dire que j’aime tout en fait. J’ai la chance d’avoir avec moi un groupe que j’apprécie beaucoup, et après 80 dates ensemble environ aujourd’hui, on se connaît par coeur, on est très soudés.

Partie 4 : Les projets

Le 21 septembre, tu seras au festival Muzik’elles à Meaux où tu auras carte blanche. Peux-tu nous en dire plus ?

Pas pour l’instant. C’est délicat à organiser, surtout pendant l’été, mais j’ai envie que ce soit très éclectique et c’est parti pour, alors je suis ravie!

Penses-tu déjà à ton prochain album ?

Non pas encore, je suis encore trop plongée dans le répertoire de « l’Eau », que nous jouons sur scène, pour passer à autre chose. De toute manière, j’ai beaucoup de mal à écrire en tournée parce que j’ai vraiment besoin de solitude, de tranquilité, d’être face à moi-même en quelque sorte !

Tu as joué les « Monologues du Vagin ». Qu’est-ce que cela fait de se retrouver sur une scène pour autre chose que de la musique ? Tu aurais envie de t’essayer à des formes d’art autres que la musique ou le théâtre ?

J’ai deux projets de courts métrages à la rentrée, je ne me sens pas du tout comédienne mais je suis excitée à l’idée de vivre un tournage de l’intérieur. Ceci dit, mon truc c’est la chanson, c’est dans la chanson et dans la musique que je me sens la plus à l’aise pour m’exprimer. Jouer dans « les Monologues du Vagin a été une expérience géniale, cela m’a notamment ouvert les yeux sur le privilège qui est le mien de pouvoir être à ce point libre de mon corps et de mes opinions par rapport à des millions de femmes dans le monde entier qui n’ont pas ce que nous, européennes, considèrons comme des choses normales. J’ai par ailleurs été bouleversée par un chapitre consacré à l’excision, au point d’écrire une chanson pour mon disque, qui s’appelle « On dirait que c’est normal ».

Partie 5 : l’image

© Valérie Archeno

Parlons un peu de ton image qui a évolué en même temps que ton univers. Au début, couettes et espiéglerie étaient de rigueur. Aujourd’hui, tu sembles plus posée, calme, presque plus timide. Où est le grain de folie qui habitait certaines de tes premières chansons, comme « Les bistrots les bastringues » ou encore « Mes problèmes de relation » ?

J’ai changé et j’ai évolué, forcément, parce que j’ai grandi ! Mais je crois que cette espièglerie s’exprime encore, d’une autre manière, et notamment sur scène. Plus timide ? Oh non quand même pas ! Moins énervée qu’à vingt ans peut-être ! Enfin je dis ça, en fait je ne sais pas trop, c’est plutôt à vous de me le dire !

Après « Douze Fois par An », tu as coupé courts tes cheveux. Etait-ce un choix motivé pour rompre avec cette image d’artiste rigolotte ?

Non pas vraiment. Ce n’était pas quelque chose de délibéré mais inconsciemment il y avait sans doute de ça. J’ai sûrement eu la hantise de traîner mes nattes jusqu’à 40 balais ! Mais en réalité j’avais envie depuis un moment de le faire. J’ai toujours eu les cheveux longs notamment parce que je pratiquais intensément la danse classique. En fait je me suis coupée les cheveux à une période où plein de choses ont bougé dans ma vie, c’est assez fréquent je pense le changement de tête qui accompagne certains virages dans une vie…

Comment te décrirais-tu aujourd’hui ? Quel rapport entretiens-tu avec ton image ?

Un bon rapport si ce n’est que quand je me vois sur une vidéo je trouve mes os trop saillants! En fait je n’y réfléchis pas trop. Une description possible de moi serait une chanteuse qui a envie de crier tellement elle aime son métier !

Partie 6 : Les sélections culturelles

Pour finir cette interview, je te propose de nous faire partager quelques uns de tes coups de coeur culturels. Que nous conseillerais-tu en musique, littérature et cinéma ?

Mon bouleversement cinématographique récent est le film de Maïwenn, « Pardonnez-moi ». C’est un chef d’oeuvre très violent sur la difficulté des rapports familiaux, tout le monde devrait voir ça !

En musique j’ai été happée par Amy Winehouse dont j’écoute les deux albums très régulièrement, l’album « Poses » de Rufus Wainwright qui est un exemple de lyrisme, et les vidéos live de Robbie Williams sur dailymotion dont je ne me lasse pas!

En littérature, j’ai découvert une auteure irlandaise exceptionnelle, Nuala O’Folain, notamment par la biographie qu’elle a écrite sur une femme gangster, Chicago May, C’est palpitant !

En tournée je ne lis pas beaucoup mais j’ai dévoré dans le camion un des derniers romans de Paul Auster, « Brooklyn Follies ». Un idéal livre de voyage.

Enfin j’ai été très touchée par la rétrospective de Pierre et Gilles que présente en ce moment le Musée du Jeu de Paume.

Morceaux choisis

Eponyme (2002)

A écouter : « Un trait danger » – « La famille » – « Avec des Si »

Douze fois par an (2004)

A écouter : « Les photos de mariage » – « La station » – « Le petit voisin »


Les photos de mariage

L’eau (2006)

A écouter : « Voilà » – « La peau sur les os » – « Une tonne »


Voilà

Site officiel : http://www.jeanne-cherhal.com/
Tôt ou tard : http://www.totoutard.com/

Chansons en écoute avec l’aimable autorisation de Tôt ou Tard.


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