BD

« Come Prima » Alfred

A quelques jours du Festival de la BD d’Angoulême, j’ai choisi d’évoquer l’excellent et touchant « Come Prima » d’Alfred, illustrateur et auteur de cette histoire, qui fait partie des nommés du festival.

Save my Brain a déjà eu l’occasion d’évoquer Alfred pour « Pourquoi j’ai tué Pierre », avec Olivier Ka, chronique de Maxime Sandeau, cet album a d’ailleurs obtenu le Prix Public et le Prix Essentiel de la BD D’Angouleme en 2007, et « Je mourrai pas gibier » avec Guillaume Guéraud.

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C’est grâce à ses parents comédiens, qui lui donnent très tôt le goût d’écouter des histoires et l’envie d’en raconter, que tout petit, Alfred dessine pour laisser des traces et raconter des histoires avec les dessins. A 12 ans il fait des fanzines et court les festivals pour les vendre. A 18 ans après avoir obtenu avec brio son bac, il arrête ses études pour vivre de la BD. Autodidacte, il monte un petit label éditorial « Ciel Ether » qu’il anime durant deux ans et apprend son métier. Puis il rencontre Eric Corbeyran et les éditions Delcourt, ce sera les débuts d’une belle histoire avec la BD. Les influences d’Alfred son variées, des grands classiques incontournables en BD, Alfred croise « Fred et Philémon », lit les magazines de BD Métal Hurlant, Fluide Glacial, Pilote, Circus. Il se nourrit d’images, découvre Tardi, Prat, Moebius.. puis Lorenzo Mattotti et rencontres des auteurs.

Alfred est un auteur discret, pudique qui aime se dépasser et dont chaque livre est une nouvelle aventure, un auteur porté par ses émotions, ses envies et son environnement. Alfred fait partie des auteurs BD qui compte et maîtrise avec brio  chacun de ses projets. C’est aussi  un illustrateur prolifique qui a fait plusieurs albums dont entre autres : « Monsieur Rouge » avec Olivier Ka pour l’écriture, « Octave » avec David Chauvet pour le scénario, « le désespoir du singe » scénario de Jean-Philippe Peyraud, « Café panique » adaptation de Roland Topor, « Pourquoi j’ai tué Pierre » adaptation du journal intime d’une vie d’Olivier Ka, « Je mourrai pas gibier », adaptation du roman de Guillaume Guéraud, mais également des participations pour des collectifs etc..  Il est connu également pour ses animations auprès des jeunes avec Olivier Ka, ami et complice depuis de nombreuses années dont le spectacle du « Crumble club »,  et des lectures dessinées. Alfred participe aux concerts de dessins du Festival de la BD d’Angoulême, ces concerts sont l’un des éléments clés de l’identité du festival, avec Areski Belkacem et ses musiciens, ces concerts explorent cette année la thématique de la quête amoureuse, avec plusieurs chansons inédites et créées par Areski.

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Projets : Alfred dessine le second tome de la saga « Donjon » et travaille avec le chanteur Etienne Daho, sur un livre avec David Chauvet, une sorte de « making-off affectif », un journal de bord de la réalisation de son dernier disque et dans lequel il dessine un carnet de route de l’écriture du disque, le studio, la promo, les répétitions et les concerts, un voyage à l’intérieur de deux années de l’élaboration d’un disque. Regard 9 lui a donné carte blanche pour l’exposition de mai 2014 ainsi qu’une partie de la programmation des performances, spectacles et rencontres de la manifestation. Ce festival unique qui soutient la création et rend accessible la culture pur tous est le croisement culturel entre BD, musique, conte, littérature, architecture, arts vivants… cette année Regard 9 a invité Alfred pour une proposition de voyage en Italie, à cette occasion le festival explorera l’univers de création de l’auteur.

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« Come Prima »

Après avoir illustré « Je mourrai pas gibier » Alfred mettra plus de trois ans pour sortir sa BD, il manquait au paysage de la BD, mais on lui pardonne cette trop longue attente, Alfred nous offre là un album magnifique et touchant.

« Come Prima » est un récit de 224 pages, dont Alfred est à la fois le scénariste et l’illustrateur et qui s’avère une belle réussite.  C’est un road movie qui entraine le lecteur dans une comédie sociale sur les routes de France et de l’Italie des années 1960. C’est aussi un bel hommage rendu à l’Italie et surtout au cinéma italien de l’époque que son auteur affectionne en particulier, notamment pour sa capacité à faire des comédies douces amères, légères et des tragédies humoristiques mêlant des choses insignifiantes tout en les rendant attachantes.

« Come Prima » est une fiction, dans laquelle Alfred, d’origine italienne, fait écho à son histoire personnelle nourrie par le récit de son grand père et son grand oncle, par ses rapports à l’Italie, à son père, sa famille, Alfred avait envie d’évoquer la fratrie.

Après « Je mourrai pas gibier », Alfred va vivre une période charnière dans laquelle il devient papa, part vivre en Italie pour baigner sa petite fille dans ses racines italiennes, mais cette période amène chez l’auteur des doutes sur le dessin et la pratique même du dessin, provoquant un blocage complet sur le dessin. Il lui faut alors réapprivoiser l’envie et le plaisir. Suivant les conseils de Lorenzo Mattotti, (qui avait lui aussi traversé une période chaotique), il remplit des carnets au quotidien au travers de prises de notes et dans lesquels il écrit tout ce qui lui passe par la tête, des dialogues, des titres, des rêves, des dessins, des réflexions, des idées, etc … ses écrits dessinent un récit et il commence ainsi à écrire « come prima ».

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l’histoire : Ce road movie familial raconte le périple de deux frères, Giovanni et Fabio, qui ne se sont pas vus depuis une dizaine d’années. L’un des frères Giovanni, vient annoncer à l’autre frère Fabio, la mort de leur père, et lui demande de l’accompagner dans un voyage pour ramener les cendres du père en Italie. Alfred emmène le lecteur au début des années 60, à bord d’une fiat 500, où deux frères sillonnent les routes de France pour se rendre dans un petit port de Pouilles en Italie. Le voyage est émaillé de disputes, de silences, de souvenirs et de rencontres. Par bribes, le portrait du père, militant syndicaliste, se recompose et met en lumière leurs relations difficiles.

Fabio, boxeur de deuxième zone, a rompu tout lien avec sa famille suite à un engagement pour les chemises noires fascistes. Giovanni, le frère cadet,  essaie de recoller les morceaux d’une famille ou les tensions et le manque de communication sont présents. Dans ce huit clos pesant, on traverse des paysages, des êtres humains et des rencontres et un passé que les deux frères feront revivre le temps d’une dispute, d’une bagarre, d’une pensée ou d’un rêve.

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Dans cette histoire, Alfred évoque des personnages en perte de repère, un peu à la dérive, qui tentent de faire des choix et tenir la tête hors de l’eau. L’histoire se passe sur trois jours durant lesquels on va essayer de comprendre les vies des deux frères et les secrets d’une famille.

Dans cette narration graphique, Alfred dessine ses personnages avec attachement. Chaque trait de son crayon relate avec force l’émotion et l’intensité des personnages. Alfred a l’art de transmettre au travers de son dessin les émotions. Il sait jouer avec son trait épais mais jamais fini. Il a la volonté esthétique de retranscrire les sensations, avec des couleurs fortes, bleu un peu vert, un rouge un peu orangé. De beaux contrastes, des flash back, des pages muettes, sobres,  qui plongent le lecteur dans un récit superbe. Au travers des dessins, Alfred sait capter les qualités, les zones d’ombres et les états d’âme de ses personnages ainsi que les beaux paysages d’Italie. Il a su utIliser deux styles graphiques différents marquant la frontière entre les deux époques, des pastels bicolores pour les retours en arrières et plus de réalisme dans le contemporain. Dans son album on distingue le présent d’un côté et les souvenirs de l’autre.

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Ce road movie nostalgique, palpitant, passionnant et touchant est un des romans graphiques les plus aboutis, c’est aussi un album lié à ses origines et à son histoire personnelle dans lequel le lecteur est embarqué sur des sentiers inattendus, Alfred creuse un passé douloureux et des névroses oscillant entre rires et larmes. Cet album mériterait un prix au Festival de la BD d’Angoulême : on croise les doigts, on y croit, Alfred le mérite vraiment, il a écrit un récit touchant, et rempli d’humanité qui touche par sa justesse et sa sensibilité !

 

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2 Comments

  • Reply
    laurence sandeau
    2 février 2014 at 19:27

    Alfred vient d’obtenir le Fauve d’Or du festival de la BD d’Angoulême 2014, prix du meilleur album BD. Bravo à Alfred pour ce prix amplement mérité !

  • Reply
    Françoise LATOUR
    1 février 2014 at 18:51

    Bien amené et analysé, approfondi… Voici un bon moyen de décider ou pas de lire ses BD. Merci.

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