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Sandra Nkaké

Nous avons rencontré Sandra Nkaké à l’heure de la sortie de son deuxième album, intitulé Nothing for Granted. Une très belle découverte qui mélange les genres, entre énergie pure et douceur jazzy.

Il y a quelques temps, Sandra Nkaké se faisait remarquer par une reprise de La Mauvaise réputation, de Brassens, extrait de son premier album, Mansaadi. Avec Nothing for Granted, son deuxième album tout juste paru, la chanteuse franco-camerounaise fait étalage de son talent et de la richesse de son univers musical.

En douze titres, Nothing for Granted mélange les genres. Si Like a Buffalo se distingue par son énergie débordante, à mi-chemin entre musique urbaine et musiques du monde, Show me the way, le titre suivant, arbore des arrangements aux cuivres élégants, tout en douceur. Le tout se clôt par No More Trouble, où la voix grave et chaude de Sandra Nkaké revêt presque des accents gospel.

Derrière cet album réussi se cache une artiste humaine et intelligente, aux multiples talents. Laissons-la s’expliquer…

Si tu devais te présenter en quelques mots… ?

Je suis une artiste autodidacte, auteur compositeur. Une femme du monde curieuse qui a choisi la musique comme medium, parce que c’est celui qui me fait le plus vibrer. J’ai toujours voulu travailler avec les gens. J’ai pensé à devenir médecin, journaliste… J’ai fait de la musique et du théâtre. Mais il a fallu que je sois en confiance avec mes musiciens pour que le déclic se produise et que j’en fasse mon métier. Longtemps, j’ai considéré la musique comme un milieu compliqué et enfumé. J’aimais aller aux concerts, je profitais que maman ne soit pas là pour faire tourner un vinyle… Avant de faire des concerts avec un groupe.

Comment as-tu défini ton style musical ?

Je ne sais pas trop comment tout ce que j’ai écouté s’est mélangé. Mais j’ai plus écouté Nina Simone et Tom Waits que Metallica et AC/DC. J’avais un éventail de musiques assez énorme, l’accès à une discothèque mondiale quand j’étais gamine. Et j’ai toujours été touchée par des thèmes plutôt sociaux. Je veux que ma musique soit une fenêtre sur le monde. Et je veux faire ce que je suis, avoir un style perso.

Peux-tu nous raconter tes débuts sur scène ?

C’était au théâtre. J’ai été intégrée après une audition faite complètement à l’arrache. Quand j’étais à la fac, je jouais plusieurs fois par semaine avec un groupe. Un des musiciens avait une copine comédienne qui jouait dans Les Sorcières de Salem. On a été voir la pièce et j’ai été surprise de voir que l’esclave noire était jouée par une comédienne blanche, par ailleurs très bonne, maquillée avec du cirage. J’en ai fait la remarque au metteur en scène. Deux ans plus tard, il me rappelait pour me donner le rôle. Je n’avais jamais fait de théâtre et je ne pensais pas faire l’affaire mais j’ai quand même été retenue.

C’est une expérience qui m’a plu. Je suis un animal grégaire, c’est-à-dire que j’ai tendance à penser qu’au sein d’une troupe, tout le monde à la même importance, depuis le premier rôle jusqu’à l’éclairagiste. C’est important pour construire un projet et c’est l’état d’esprit que j’avais pour l’album. Je pense d’ailleurs que la victoire de François Hollande traduit un courant de pensée plus humaniste. Le fait que chacun a une place importante dans la société, quel qu’il soit. Nous autres artistes sommes parfois mis sur un piédestal mais je trouve ça injustifié. On n’est pas plus importants qu’un autre. C’est d’ailleurs vraiment important d’être bien entouré.

L’important est ce qu’on défend. Je pense que c’est pour ça que ça s’est bien passé avec le label. Dès le départ, ils se sont concentrés sur la musique, plutôt que de choisir quelle serait la meilleure photo de couverture pour l’album. C’est un message aux artistes indépendants. Il est possible d’exister en faisant ce qu’on défend et en arrivant à payer son loyer.

Qu’as-tu voulu exprimer avec cet album ?

L’idée, c’est qu’il faut prendre son destin en mains. Toutes les chansons racontent l’histoire d’un personnage au moment d’un choix, ou avant ou après. Parfois, je suis ce personnage. Le moment peut être inspiré par un film, une peinture, une nouvelle de Maupassant… Je fais des zooms sur des situations. En écriture, ça marche bien, le gros plan. Ce sont des personnages devant lesquels on pourrait passer dans la vie courante. Dont le choix a une influence sur un destin individuel ou collectif. Et si l’explosion du printemps arabe a inspiré quelques morceaux, ça ne concerne pas seulement le Nord de l’Afrique et le Moyen Orient. C’est bien plus large. On est quand même dans un pays où il y a encore des gens qui crèvent la dalle. Et on est aussi la seule espèce qui autodétruit son habitat.

Tu es une artiste aux multiples talents et facettes. Comment cela se traduit-il lorsque tu composes ?

Je pense que ça a une influence mais je ne sais pas comment ! L’idée, c’est avant tout de raconter une histoire. D’ouvrir une fenêtre politique sur ce qui se passe. Je ne veux surtout pas donner de leçon. L’idée détermine la chanson. Ensuite vient la mélodie puis le concert, qui est l’occasion de rassembler les gens. Sans barrière ethnique ni sociale.

Plutôt scène ou studio ?

Ca dépend… Les deux en fait. J’apprécie le travail de précision en studio mais la scène est toujours un moment unique. Même si le répertoire est toujours le même, tous les concerts sont différents. Il faut se mettre en phase avec le public, ce lui qui décide comment ça se passe. Là, je reviens de Suisse, ils n’ont pas du tout la même dynamique que nous. J’aime ce contact avec les gens, ce risque. C’est une manière de se mettre à poil. Et chaque fois, il faut s’adapter, trouver le point de patinage qui fera que le public démarre. On ne vit pas les mêmes moments selon les endroits. Plus la région est « désertique » d’un point de vue culturel, plus l’accueil est chaleureux. Un concert, c’est un peu comme un repas organisé avec des gens qu’on connaît et d’autres qu’on ne connaît pas.

Quels sont les albums qui traînent sur tes étagères et qui t’ont bercé ?

Alors je dirais Rain Dogs, de Tom Waits, Tea for the Tillerman, de Cat Stevens, Metals, de Feist… et tant d’autres !

Notre magazine s’appelle Save My Brain… Sauver les cerveaux. Comment peut-on le faire ?

Il faut le solliciter. Dormir, s’interroger… Le frotter à celui des autres. Jouer beaucoup, aussi. Les enfants jouent très sérieusement. Il faut bien manger aussi. Et surtout faire des choix personnels et bons pour nous. Pour rester sain d’esprit et pouvoir se regarder dans la glace. Parce que si le cerveau n’est pas heureux, on rentre dans un cercle vicieux.

Quels ont été tes derniers coups de cœur culturels (musique, cinéma, littérature, expos…) ?

J’ai trouvé l’expo sur Tim Burton géniale. Il y a quelques dessins qui m’ont vraiment marquée. Surtout, il prouve qu’on peut ne pas forcément bien dessiner mais quand même arriver à plaire. Il n’a pas hésité à être pris pour un dingue, a être lui-même.

Sinon, j’ai beaucoup aimé le premier album de Michael Kiwanouka. Et aussi Ebo Taylor, c’est un vieux Ghanéen. Puis aussi les Beastie Boys (donc MCA, un des membres fondateurs est décédé il y a peu), les Clash et les Specials, pour leur engagement.

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