Chroniques ordinaires Humeurs

De la vitesse à Paris

On croit souvent, à tort, que le parisien est malpoli. On lui reproche toute sorte de choses : il ne répond pas aux questions qu’on lui pose, ne s’arrête pas pour renseigner les égarés et bouscule sans remords jusqu’aux animaux et aux enfants. La vérité est toute autre : Paris est une ville qui court. Avec des jambes, on mettrait Paris au marathon. L’habitant de banlieue en visite le weekend le ressent immédiatement ; le contact du bitume parisien sous ses semelles le pousse irrésistiblement à presser le pas. Il lui est dès lors très difficile de ralentir ; tout son être se concentre sur la recherche de vitesse, et sur le nécessaire calcul de trajectoire pour éviter ses concurrents ou ceux qui pourraient gêner sa progression d’une démarche trop pataude. Tout obstacle à sa quête de célérité devient alors source bien légitime de grognements et de récriminations par devers lui.

On comprend que, plongé dans cet état hypnotique, le parisien n’est alors pas responsable de ses actes. Sa grossièreté de façade disparaîtra si vous arrivez à le réveiller. Pour vous en convaincre, tentez l’expérience suivante dans la rue : demandez ( très vite ) à un passant s’il aurait l’obligeance de vous offrir un mouchoir. S’il vous répond, c’est un touriste. En général, un parisien secouera la tête en signe de dénégation et marchera sur encore deux bons mètres avant de réaliser qu’il a peut-être des mouchoirs sur lui. S’il en a, il reviendra alors sur ses pas vous en offrir un de bon cœur.

Il est un lieu qui concentre particulièrement cette atmosphère compétitive et incite plus que tout autre à la course : le métro. Les métros passent, en heure de pointe, au rythme anémique d’un toutes les deux minutes. Le parisien, n’ayant pas de temps à perdre, ne peut en aucun cas souffrir d’en rater un et de passer deux longues minutes sur le quai, sacrifiant ainsi le précieux temps gagné sur son trajet à pied en bousculant badauds et touristes. Pour peu qu’il ait plusieurs correspondances à prendre, il pourrait accumuler, au final, un intolérable retard pouvant aller jusqu’à cinq minutes ! Il lui faut donc absolument réduire au minimum le risque odieux de voir les portes se fermer sous son nez en courant dans les couloirs. C’est au passage l’occasion pour le parisien de faire une petite séance quotidienne de jogging qui, toute courte qu’elle soit, n’en est pas moins salutaire pour sa santé, et affectera positivement son humeur pour la journée.

A force d’années de pratique, le parisien s’est endurci à la pratique des réseaux ferrés souterrains et ne se rend plus compte de la manière dont il se rend d’un point à un autre. Le visiteur occasionnel, en revanche, fait souvent l’erreur de vouloir se rendre à Paris en voiture pour échapper aux affres des transports en commun. S’il pensait naïvement gagner du temps, il est vite détrompé : les rues sont occupées par bien trop de non parisiens pour que la culture de la vitesse y soit répandue, et les conducteurs dans Paris doivent apprendre à prendre leur temps, que ce soit pour circuler ou trouver une place où se garer.

Après avoir subi la circulation dense et les règles de conduite aléatoires de la capitale, ce même visiteur motorisé pourra rentrer chez lui et prendre enfin un peu de vitesse. Cette liberté retrouvée est grisante et la frustration emmagasinée peut le pousser à l’excès. S’il manque de vigilance, il ira alors grossir le nombre des morts accidentés de la route. S’il se rendait en direction de Lyon, il aura pu avant cela s’arrêter dans une aire d’autoroute pour se recueillir sur le Mémorial pour l’Avenir : un monument aux futurs accidentés de la route. Cette sculpture est imposante. Mais par une faute de goût incompréhensible, elle ne tient pas la liste des morts qu’elle est censée représenter. Tout cela montre à quel point on a tort de trop se presser pour faire les choses : on en oublie l’essentiel.

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