
Adam Elliot est un réalisateur profondément attaché aux personnages imparfaits et abîmés par la vie. Lui-même ayant un tremblement physiologique,il se sert de ce problème personnel pour affirmer un style tout à fait singulier dans le domaine de l’animation image par image. Durant toute sa carrière, il a créé une galerie de portraits de personnages atypiques, comme un homme malchanceux mais optimiste dans Harvie Krumpet (2003) ou un taxidermiste bouleversé par la mort d’un pigeon dans Ernie Biscuit (2015). Sa nouvelle œuvre, un long-métrage intitulé Mémoires d’un escargot, ne fait pas figure d’exception. Bien au contraire, elle met en scène les tribulations tumultueuses de jumeaux qui sont séparés après la mort de leur père et placés dans des familles d’accueil. Le frère, nommé Gilbert, rêve de devenir cracheur de feu et la sœur Grace est passionnée de lectures et d’escargots. Leurs destins les confrontent à une variété d’obstacles aussi cruels qu’inattendus.

Dans son premier long-métrage Mary et Max (2009), le cinéaste australien raconter une amitié épistolaire entre deux âmes solitaires en s’inspirant d’une histoire vraie. Pour ce nouveau film, d’après un entretien avec le webzine Deadline.com le 4 février 2025, il a fait le constat d’une habitude à collectionner au sein de sa famille et s’est demandé pourquoi certains êtres humains ont la manie de remplir sa maison avec des objets dont ils n’ont pas besoin. De cette réflexion personnelle, il en résulte une sorte d’autobiographie fictive, mêlant la fiction et la réalité, dans laquelle Grace Pudel, possible alter ego du réalisateur à l’écran, raconte en voix-off comment l’envie compulsive de collectionner égrène chaque parcelle de son existence. Mémoires d’un escargot est une fable sur une obsession humaine, le personnage principal gardant tout ce qui arbore la forme d’un escargot. C’est pourquoi le long-métrage débute par la vision d’un assemblage d’objets hétéroclites. La caméra en mouvement, à la manière de celle de Delicatessen (1991) réalisé par Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet, se faufile entre plusieurs pièces de collection qui symbolisent le parcours de Grace. Chaque objet exposé à l’écran cristallise une émotion précise pour cette femme pétrifiée dans la vie. En revanche, celle-ci s’enferme dans une coquille d’escargot trop étouffante ; telle est la métaphore visuelle qui marque tout le long-métrage. Adam Elliot développe, avec un soin méticuleux, un langage visuel imprégné de sensibilité. Les lieux et les objets sont personnifiés et reflètent ainsi l’état émotionnel des protagonistes, comme un potager des pleurs qui apaise miraculeusement les douleurs. De cette manière, le spectateur se retrouve bel et bien projeté dans un imaginaire intime en tout point saisissant.

Si l’histoire racontée dans Mémoires d’un escargot aborde de manière bouleversante la solitude et la résignation, le travail des animateurs se doit d’être apprécié dans les détails. L’animation en volume (« stop motion » en anglais) consiste à animer image par image des objets ou de la matière inerte, comme la pâte à modeler. Elle apporte dans la nouvelle œuvre d’Adam Elliot une certaine gravité touchante : les deux personnages principaux sont représentés à l’écran par de petites figurines cabossés qui portent littéralement les stigmates de leurs mésaventures quotidiennes. Au début du film, la jeune Grace ne se sent « pas finie » à cause d’une malformation labiale à la naissance. Elle et son frère Gilbert ont chacun des blessures au bras qui composent ensemble un visage souriant, ce qui constitue une preuve de leur solidarité indéfectible. La blessure infligée sur le corps animé image par image devient un motif de résistance face à la cruauté du monde, dans la mesure où les jumeaux survivent de tous leurs malheurs en cultivant leurs particularités. En contraste d’un monde austère, fait d’harcèlements et de deuils en répétition, le long-métrage juxtapose avec subtilité une noirceur tournée en dérision et une étincelle d’espoir, incarnée par une vieille dame excentrique surnommée « Petit Doigt » (« Pinky » dans la version originale). Cette dernière guide avec gentillesse et sagesse la jeune Grace, en prodiguant des maximes optimistes comme « La vie se comprend seulement en marche arrière mais elle ne peut être vécue qu’en marche avant ». Le procédé d’animation utilisé renforce l’hostilité d’une société vicieuse, semblable au ton dramatique des romans de Charles Dickens, autant que le bonheur éphémère d’un cercle de personnages rejetés à cause de leur différence.

Disponible en vidéo, le film Mémoires d’un escargot, ayant remporté le Cristal du long-métrage au Festival international du film d’animation d’Annecy en 2024, met en scène, avec justesse, le voyage émotionnel de deux enfants abandonnés. Le montage fonctionne régulièrement par l’association d’images, dans le but de nous transmettre de la compassion pour ces personnages fragiles. Pour donner un exemple, une correspondance s’établit entre une cage de perruches et les fenêtres des chambres des jumeaux : tous sont prisonniers d’un cadre de vie qui leur est imposé. Dès lors, la réalisation d’Adam Elliot amplifie la détresse ressentie par les personnages principaux. S’il s’apparente à un chemin de croix, le parcours de Grace la pousse à affronter les épreuves de la vie pour mieux se reconstruire. Derrière la façade beige d’un univers désenchanté, le long-métrage délivre un éloge du bonheur salvateur pour ces deux âmes sensibles que sont Gilbert et Grace.


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