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Orelsan

Deux ans après un premier album aussi remarqué que controversé, Orelsan revient avec Le Chant des Sirènes. Entre vidéos dignes des meilleures productions hollywoodiennes et textes finement ciselés, le rappeur fait honneur à son genre musical. Non, le rap n’est pas qu’une démonstration de virilité, il peut aussi ouvrir les yeux.

S’il est un parcours tumultueux et bien rempli, c’est bien celui de Raël. Il fut tour à tour rédacteur en chef et chanteur, période de sa carrière où il commit l’inoubliable Madam’ Pipi. Puis il devint gourou de secte, soi disant conçu par des extraterrestres (sa mère juge d’ailleurs l’affaire possible, admettant qu’elle dort souvent la fenêtre ouverte). Ses nombreuses ouailles ont dû se réjouir de le voir canonisé héros de roman sous la plume d’un Michel Houellebecq (dans La Possibilité d’une île) qui a dû lui envier, à n’en pas douter, son droit de cuissage. Heureux homme, fils d’extraterrestre.

Un bonheur n’arrive jamais seul… Au faîte de sa gloire, le gourou voit un nouvel hommage lui tomber du ciel, largué par une « soucoupe en double file ». C’est cette fois le rappeur Orelsan qui en est à l’origine. S’affublant du titre honorifique de Raelsan, fils d’extraterrestre, il jette un œil acerbe sur l’industrie de la musique. Voilà comment fut introduit le nouvel album d’Orelsan, le Chant des Sirènes, récemment paru.


OrelSan – RaelSan par 3emebureau

A coups de piques acides, Orelsan laisse pas mal de monde sur le carreau. Principale victime : le politiquement correct, touché en plein cœur par ce langage très fleuri. Et non toute la société en bloc, comme on pourrait le croire naïvement. Seulement voilà… L’oreille moyenne n’est pas préparée à trouver du second degré et de la finesse dans ce genre de déclamations. Alors il faut prendre la peine d’écouter le texte : Orelsan met simplement le doigt où ça fait mal, sans méchanceté gratuite.

De textes engagés en Madeleine de Proust (voir le clip de 1990), Orelsan parvient à se démarquer du tout venant par ses phrases impeccables et sa prononciation si particulière, si précise, si peu « j’nique ta race ». Jouant plus du second degré que de la gourmette en or massif, il a été jusqu’à nous gratifier de quelques vidéos désopilantes pour annoncer le sortie de son album. Rencontre.


Orelsan – En Attendant les Sirènes 2 -… par 3emebureau

Si tu devais te présenter en quelques mots… ?

Je m’appelle Orelsan… Et je ne saurais pas quoi dire ! Je viens de Caen et j’ai sorti mon deuxième album.

Comment te viennent les thèmes sur lesquels tu écris ?

Il n’y a pas de règle. Je peux écrire sur une idée que j’ai en tête depuis longtemps, ou sur la vie de tous les jours, des fois ça vient au fur et à mesure de l’écriture… Je n’en parle pas souvent mais le thème c’est ce qu’il y a de plus dur, de plus éprouvant à trouver. L’écriture, ça peut être long et ça demande de la précision mais une fois que c’est lancé, c’est bon. Par contre, les thèmes, il n’y en a pas 30.000 on peut faire une chanson d’amour, une chanson engagée…

Dans Suicide Social, on dirait que rien ne trouve grâce à tes yeux. C’est un ras-le-bol général qui t’obsède ?


OrelSan – Suicide Social par 3emebureau

Non, c’est avant tout la parole d’un personnage, de quelqu’un qui va se suicider. C’est la vision de la société par la voix d’un individu, pour mettre en lumière le manque de communication entre les gens. Pour ma part, je suis partagé entre le côté « tout m’énerve » et « je comprends ». Je ne suis pas radical. Tout a des défauts et des qualités. Je pense que j’aurais pu sans trop de problème écrire la même chanson en reprenant tous les éléments un par un et en ne disant que du positif. Par exemple, quand je dis que la CGT a des slogans de merde, j’aurais pu dire qu’elle se démène pour les gars qui a cinq enfants et qui risuqe de se retrouver au chômage. Pareil pour les féministes. J’ai utilisé le cliché de la lesbienne refoulée, qui est le premier qui vient à l’esprit mais ce n’est qu’une façon de voir les choses.

Es-tu nostalgique des années 1990 ?


Orelsan – En attendant les Sirènes 3 – 1990 par 3emebureau

Oui, dans le bon sens du terme. Je suis pas à dire « c’était mieux avant ». C’est de la nostalgie mais aujourd’hui, ce qu’on avait dans les années 1990 fait rigoler. La nostalgie, c’est une façon de voir les choses. Les années 1990, c’est là où tout a débuté pour les nouvelles technologies. C’est pour ça qu’on a aujourd’hui un souvenir ému du tatoo. Mais en soi, l’objet était nul. Pareil pour le minitel, on avait plus vite fait d’aller chercher dans l’annuaire. Mais toute cet époque, ça correspond à un environnement à un moment donné. Un symbole de ce qui allait arriver par la suite.

Comment as-tu évolué depuis ton premier album ?

Mon écriture est devenue plus précise. Je suis devenu plus ouvert et j’ai moins peur de dire les choses. Je suis moins enfermé dans une écriture stricte.

Te juges-tu provocateur ?

Un peu, de temps en temps. Et c’est normal, c’est une façon de parler des choses qui ne vont pas. C’est comme dans le couplé où l’un demande à l’autre « qu’est-ce que je fais de tes chaussettes ? Je les jette ? ». Le problème n’est pas de les jeter ou pas mais qu’elles traînent. La provoc n’est pas une fin en soi, c’est pour moi un moyen de dire des choses. Je ne fais pas de la provoc comme Andy Kaufman, je suis dans la métaphore et l’hyperbole. Mon but, ça reste de faire des chansons.

Tes vidéos sont toujours très travaillées. Imagines-tu que tes textes puissent fonctionner sans leur clip ?

Oui, je pense. Mais c’est vrai que pour bien comprendre, c’est toujours mieux de voir la vidéo. Sur mes premiers trucs que j’ai mis sur le net par exemple. Pour 1990, j’ai fait exprès de sortir le clip avant. La chanson peut marcher toute seule mais le clip forme un tout avec. Pareil dans la vidéo du freestyle assisté par ordinateur, qui était écrit exprès pour la vidéo. Je viens de myspace donc je suis habitué à faire des vidéos comme ça. Pareil pour Sale Pute, que j’ai fait exprès de ne publier qu’en vidéo. On voit bien que le mec du clip est un personnage : il est bourré, il fait pitié… Ca n’a pas empêché que des phrases soient sorties de leur contexte. Ensuite, pour des vidéos comme Raelsan, c’est une autre histoire, je ne maîtrise plus. C’est un gros clip, qui a été réalisé par David Tomaszewski, dont le cinéma est le métier. Mais comme il colle parfaitement aux paroles, ça ajoute une dimension supplémentaire au titre.

Quels sont les albums qui traînent sur tes étagères et qui t’ont bercé ?

Il y en a plein. J’écoute beaucoup de musique. Du rap mais aussi des trucs différents. Ca va de Notorious Big à Outcast, en passant par Cage, Lil Wayne ou Rage Against the Machine. Mais aussi Queen, les Beatles ou Polnareff. Comme je viens de province, je n’avais pas de magasin de disques bien fourni. Donc ma culture musicale, je l’ai achetée chez Carrefour. Je n’en ai pas honte, c’est comme ça. En même temps, je ne suis pas un puriste. Je me dis que si on a des bases comme les Beatles, James Brown et Bob Marley et qu’on les connaît bien, c’est déjà pas mal. Quand on est jeune et qu’on n’a pas beaucoup de disques, on les écoute en boucle plus souvent et ça aide à bien connaître. Ensuite, j’ai rencontré un type qui connaît tout sur le cinquième Beatle et qui a même écrit un bouquin dessus. Je n’en suis pas là et je ne pense pas que ce soit nécessaire pour écouter la musique !

Notre magazine s’appelle Save My Brain. Sauver les cerveaux… Comment peut-on le faire ?

En se concentrant. Il faut réapprendre à se concentrer. Ca m’arrive d’être devant l’ordi et de ne rien faire sinon réactualiser la page d’accueil de Facebook. Ou de passer des soirées à regarder à moitié la télé, en même temps que je suis sur l’ordi et que je joue à jeu vidéo. Au final, je n’ai rien fait. A un moment, il faut se dire « j’ai un cerveau, je coupe ». Ce n’est pas une question de vouloir avoir une culture ultime. Mais on n’a plus l’habitude de se forcer. Alors quand je lis un livre, même si ça ne me plaît pas tout de suite, je me force à lire au moins les cent premières pages.

Quels sont tes derniers coups de cœur culturels (musique, cinéma…) ?

En musique, je dirais The Weekend et J Cole. Je ne vais pas très souvent au ciné mais j’ai bien aimé La Planète des Singes dernièrement. Sinon, je lis un manga qui s’appelle Pluto, qui est vraiment pas mal. Mais pour rejoindre le problème de concentration dont on parlait tout à l’heure, je suis en train de lire six livres en même temps.

Merci au Manga Café V2 pour son accueil

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1 Comment

  • Reply
    Emeline Mangel
    20 octobre 2011 at 9:33

    Une vraie belle découverte.

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