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Festival de la bande dessinée d’Angoulême 2011- Jour 2

Pour notre deuxième jour dans la ville officielle des bulles, le programme fut des plus variés. Nous allons vous parler d’une légende de l’héroïc fantasy, du renouveau de la BD belge, d’une maison d’édition un peu particulière et d’une histoire qui se déroule dans le Vienne du début du vingtième siècle.

Cette année, l’exposition « tous publics » du festival de la BD d’Angoulême a quitté le parvis de l’hôtel de ville pour sa cour intérieure. Un chapiteau remplace désormais les panneaux en plein air qui faisait honneur aux Tuniques Bleues l’an dernier. Cette année, c’est le monde de Troy qui tient le haut de l’affiche.

Née en 1994, la série Lanfeust de Troy, signée Tarquin et Arleston s’est vite imposée comme une référence dans le domaine de l’heroïc fantasy, du fait de son humour et de ses nombreuses trouvailles. Si la saga se limite à huit albums, de nombreuses séries dérivées ont vu le jour, à l’image des Trolls de Troy, de Lanfeust des Etoiles (la suite de Lanfeust de Troy) ou encore de la dernière née, Cixi de Troy.

Très bien mise en scène, cette exposition va au-delà de la simple rétrospective sur les diverses séries des mondes de Troy. En déambulant dans le chapiteau sombre de l’expo, les visiteurs pourront découvrir le troll Hébus, le fameux compagnon de route de Lanfeust et du sage Nicolède, en taille réelle. Plus loin, un pétaure, ce colossal animal qui est le principal moyen de transport sur Troy et qui n’avance que si son cornac chante, vous regardera avec ses yeux tendres.

Planches de BD originales, présentation des personnages et même fond sonore (il n’est pas rare d’entendre un rot de troll décoiffant) font de la visite de cette exposition un véritable moment de détente.

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Plus élitiste, l’expo de l’Espace Franquin nous fait découvrir la nouvelle vague de la BD franco-belge. Un petit groupe de nouveaux éditeurs, pour la plupart nés dans les années 1990, sont représentés dans le sous-sol de ce qui était ces dernières années le Manga Building.

Parmi eux, on retiendra La Cinquième Couche. Un nom hérité de la quadrichromie. Tous les livres sont imprimés avec des aplats de cyan, de magenta, de jaune et de noir. Ce collectif, comme tous les autres présents dans cette expo, a pour ambition d’ajouter une dimension supplémentaire à cette « simple » technique chromatique.

On ne peut guère parler de mouvement, tant les styles sont variés. On retiendra par exemple des œuvres aussi diverses que la biographie en 900 pages du chimiste juif allemand Fritz Haber signé David Vandermeulen ou encore les dessins tout en nuances de noir de Vincent Fortemps.

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Save My Brain a rencontré le président Arnaud Bauer et le directeur éditorial Maxime Marion de Manolosanctis, une maison d’édition pas comme les autres.

Save my Brain : Pouvez-vous nous expliquer le principe de votre maison d’édition ?

Manolosanctis : Manolosanctis, née en septembre 2009, est à la fois une maison d’édition participative mais également un site web. Notre site est une plateforme destinée aux internautes bédéphiles souhaitant découvrir de nouveaux auteurs mais sert également de tremplin pour des jeunes talents voulant se faire connaître et voir leurs œuvres publiées soit dans un collectif, soit en solo.

SMB : Quelle est ou quelles sont les particularités de votre maison d’édition par rapport aux autres présentes sur ce salon ?

M : En créant Manolosanctis, nous voulions bousculer les traditions en éditant des jeunes talents trouvés sur la blogosphère et partager la ligne éditoriale de notre maison avec les membres du site.

SMB : Qui peut soumettre son œuvre sur Manolosanctis ?

M : Tout le monde peut soumettre son œuvre sur notre plateforme. Elle fonctionne comme une sorte de YouTube et autres sites de partage mais spécialisée dans la bande dessinée.

SMB : Mais si tout le monde peut poster, n’y-a-t-il pas des dérapages ? Et dans ce cas, des mesures sont-elles prises ?

M : Nous vérifions une fois l’œuvre mise en ligne son contenu (même si nous laissons l’internaute libre de traiter le sujet de son choix) et surtout, nous faisons attention à l’authenticité de l’œuvre postée (pour ne pas être accusé de plagiat). Nous avons donc mis en place sur la plateforme une modération continue. De plus, les internautes peuvent nous signaler toutes œuvres qu’ils trouvent suspectes.

SMB : Quelle proportion d’auteurs ont été édités depuis ce jour ?

M : Aujourd’hui, sur 800 auteurs actifs, près de 70 ont été publiés et sur 1600 albums diffusés, 20 titres sont sortis soit 5% des albums en ligne.

SMB : Comment choisissez-vous les auteurs publiés ?

M : La politique de la maison est simple : ne pas se baser sur des critères quantitatifs pour publier un album, c’est-à-dire que nous ne fions pas au nombre de votes des internautes. Néanmoins, nous tâchons de regarder avec intérêt le buzz de la semaine, ce qui nous permet de nous pencher sur le contenu de l’œuvre ayant suscité autant de succès et si, par conséquent, elle « rentre » dans notre ligne éditoriale « intello tout public ». Nous souhaitons garder notre identité et ne pas tout déléguer aux internautes même s’ils tiennent une place importante dans le succès de Manolosanctis.

SMB : Avez-vous remarqué des similitudes entres les auteurs qui rencontrent le plus de succès auprès des internautes ?

M : Il existe effectivement des similitudes mais elles restent néanmoins constantes. De plus, nous ne pouvons pas toujours nous fier au nombre de votes car il existe un phénomène récurrent dans la blogosphère à savoir que les auteurs incitent leurs fans à voter pour eux via une annonce sur leur propre site web. Cette « starification » fausse donc la vision de l’œuvre proposée. Néanmoins, ces mêmes fans peuvent découvrir, voir « autre chose », une fois sur notre plateforme.

De gauche à droite, Maxime Marion et Arnaud Bauer

SMB : Aujourd’hui, quels sont les auteurs de votre catalogue qui ont le plus de succès ?

M : Il est difficile de répondre à cette question. La notoriété de Manolosanctis va crescendo donc nous ne pouvons pas vraiment dire quels auteurs en particulier ont le plus de succès dans notre catalogue. Néanmoins, pour répondre à la question, nous dirions que les auteurs de la première heure rencontrent un certain succès auprès du public.

SMB : Votre maison s’est associée cette année au festival pour le concours Agora. Pouvez-vous nous en parler ?

M : Comme l’année dernière avec 13m28, nous lançons cette année le concours Agora pour donner une chance à de jeunes talents d’être publiés chez nous sous la collection « BD Collective ». Le principe est simple : un auteur connu (le parrain du concours) lance un sujet (que l’on peut consulter sur internet et notamment sur notre site officiel) puis les auteurs proposent leurs œuvres (avec le sujet imposé) en les mettant en ligne. L’idée est de faire une bande dessinée à 40 mains, par exemple. Cette année, le parrain du concours Agora est Thomas Cadène et la publication du collectif est prévue pour septembre 2011.

SMB : Pouvez-nous parler de votre prochain projet ?

M : Nous profitons de la notoriété et de notre présence au sein du festival pour lancer notre plateforme en anglais car nous avons constaté qu’il y avait beaucoup d’auteurs étrangers notamment espagnols et italiens qui désiraient publier en dehors de leurs pays car il faut préciser que le marché de la BD en dehors de la Belgique et la France est moins dense. Le but est d’internationaliser l’album et d’offrir à l’auteur l’opportunité d’être traduit en France. Par la suite, nous aimerions que notre site web soit traduit en 5/6 langues durant l’année.

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Notre deuxième rendez-vous de la journée était une rencontre avec Yannick Corboz, dessinateur de l’Assassin qu’elle mérite, saga en trois tomes dont le premier est paru chez Vents d’Ouest en septembre dernier. L’action se déroule dans le Vienne du début du vingtième siècle, où deux dandys décadents décident sur un coup de tête de faire un pied de nez au milieu artistique foisonnant d’alors. Jugeant les nouvelles théories artistiques fumeuses, ils décident de créer leur œuvre d’art vivante, en transformant un pauvre hère en assassin, à force de manipulations.

SMB : Comment est née cette idée de scénario ?

Yannick Corboz : Ca a commencé par une rencontre avec Wilfrid (Lupano, le scénariste, NDLR) il y a quatre ou cinq ans, à Angoulême ? Il m’a demandé ce que j’avais envie de dessiner. Ca a tout d’abord donné Célestin Gobe-la-Lune. Quand on a fini les deux tomes, Wilfrid m’a proposé de travailler avec lui sur un autre scénario qu’il avait dans les cartons depuis un certain temps. Au départ, l’action devait se dérouler à Budapest, c’était une histoire à la Pinocchio, où le personnage principal était une sorte de pantin, manipulé par son créateur. Je revenais alors d’un voyage à Vienne. Etant donné le contexte culturel et social de cette ville, on a finalement décidé d’y placer l’histoire.

SMB : Le Vienne du début du siècle dernier a été très riche culturellement. L’art d’alors vous a-t-il inspiré une manière particulière de dessiner ?

YC : Oui, ça m’a influencé. L’influence de ces peintres était d’ailleurs voulue. J’essaie de toujours mettre mon style de dessin au service du scénario. Par exemple, dans l’album sur Woody Allen, réalisé avec Nicolas Pothier, je me suis inspiré des illustrations du New Yorker pour coller à l’ambiance du New-York d’alors. Pour l’Assassin qu’elle mérite, ce sont Egon Schiele et Gustav Klimt qui m’ont avant tout inspiré. Mais aussi un peu Daumier et Toulouse-Lautrec.

SMB : Avez-vous mené des recherches documentaires particulières pour mener à bien cet album ?

YC : Oui, on essaie d’être le plus cohérent possible, notamment en ce qui concerne les lieux. Vienne est très divisée en quartier. Il y a un centre très bourgeois entouré de quartiers plus populaires. Il fallait que cela apparaisse dans l’album. On a également voulu garder une cohérence concernant les vêtements et l’architecture. Dans le tome 2, à paraître, j’ai représenté des lieux que j’ai traversés pendant mon voyage à Vienne, comme un clin d’œil.

SMB : Peut-on considérer Alec comme le personnage principal ? Comment avez-vous traduit sa personnalité sur le papier ?

YC : C’est un des personnages principaux mais Victor reste le principal. Alec est un décadent, un dandy. Pour son apparence, j’ai tout de suite pensé à un personnage à la Guillaume Depardieu, une sorte de tête à claque. J’aime beaucoup Guillaume Depardieu et je voulais m’inspirer de personnages existants, sans toutefois être caricatural. Alec a une particularité, c’est qu’il sourit tout le temps, avec un cynisme grinçant. Ca en fait un des personnages les plus sympas à dessiner, avec évidement Mathilde, la prostituée. D’ailleurs, quand j’ai travaillé avec Loisel, il m’a dit que je ne devrais dessiner que des femmes, que ça m’allait bien !

SMB : L’album est l’occasion d’un débat sur la notion d’œuvre d’art. Considérez-vous Victor comme une œuvre d’art ?

YC : Non, ce n’est que le délire de deux oisifs. Mais le thème peut faire réfléchir sur la question. On émet une critique, sur un aspect révélateur de la société.

Agnès Papillard & Nicolas Meunier

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