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L’Homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam : une épopée onirique aussi passionnée que passionnante

Après une production semée d’embûches, le projet maudit de Terry Gilliam, L’Homme qui tua Don Quichotte, est enfin sorti dans les salles depuis le samedi 19 mai. Cela fait vingt-cinq années que le réalisateur de Brazil tentait de mener le tournage de ce film à bout, et ce, contre vents et marées. Entre un premier tournage qui a dérivé au fiasco en 2000, des tentatives sans résultats et une affaire judiciaire orchestrée par le producteur portugais Paulo Branco qui menaça la sortie du long-métrage, Gilliam a été considéré malgré lui comme le « Don Quichotte » de sa propre entreprise, se battant contre les terribles moulins du Destin pour parvenir à restituer sa vision du roman de Cervantès. D’imprévus en imprévus, le projet de porter sur écran le mythique chevalier à la triste figure, déjà convoité par Orson Welles, est devenu dans l’inconscient collectif le ciment des rêves parfait, quasiment inatteignable. Sauf que ce fantasme de cinéphile devient bel et bien réel sous l’œil malicieux de Terry Gilliam.

Le film se présente comme une mise en abyme du cinéma, tout en réadaptant l’esprit du roman de Miguel de Cervantès au contexte d’un tournage en catastrophe. Le personnage principal de cette réitération du roman picaresque est Toby, un jeune réalisateur-publicitaire devenu désabusé et cynique. En proie aux difficultés innombrables sur le tournage de son adaptation de Don Quichotte, il décide de retourner dans le village, appelé « Los Sueños », où il a pu filmer son projet d’étudiant sur le même sujet. Il retrouve là-bas le cordonnier Javier qui lui servit de modèle pour le chevalier à la triste figure… sauf que celui-ci croit être véritablement le mythique « Don Quijote de la Mancha » ! Entraîné malgré lui dans les élucubrations du vieil homme, l’arrogant Toby, pris à tort pour Sancho Pança, s’apprête à vivre non seulement un retour à ses racines mais aussi et surtout un voyage au-delà du réel. Décidément, c’est une belle journée pour l’aventure !

Longtemps frustré par l’arlésienne que fut ce long-métrage, Gilliam aboutit finalement à un exorcisme de ses appréhensions. Avec le roman en deux volumes L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche (1605-1615), odyssée burlesque et moderne dans son approche sur la notion de mythe, et ses frasques personnelles inouïes, le cinéaste trouve un parfait matériel pour instiller un chaos, orchestré dans la joie euphorique, dans un cadre dérisoirement structuré, principe de mise en scène incontournable dans sa filmographie. C’est ainsi qu’il dynamite le plateau d’un tournage, en faisant du cordonnier fantasque l’attraction d’une équipe technique déguisée en cour d’un château médiéval ou en faisant plonger le réalisateur cynique dans une exploration de ses fautes d’antan, en outre ses deux conquêtes phares que furent Jacqui (Olga Kurylenko), la femme de son producteur (Stellan Skarsgard), ou Angelica, une serveuse espagnole romantique au destin funeste (Joana Ribeiro). Brouillant volontiers la frontière entre le réel et la fiction, L’Homme qui tua Don Quichotte est un spectacle farceur, jouant avec ses propres ficelles cinématographiques, le temps d’une désorientation temporelle au plein cœur d’un village aliéné ou d’un changement de mise en scène dû aux caprices d’un personnage issu du film. Cette réinterprétation actuelle de Don Quichotte par l’ancien Monty Python adopte la mise en branle du média cinématographique, tout comme Cervantès mettait à nu la nature fictionnelle de son œuvre : si le chevalier à la triste figure partait à la reconquête de ses aventures publiées et moquées au sein de son propre entourage dans le roman, le cordonnier et le cinéaste, figures de Don Quichotte et de son fidèle écuyer Sancho Pança, essayent dans le film de retrouver leurs identités face à la pression d’un système sens dessus dessous. De péripéties inattendues à des distorsions de réalité en cascade, le long-métrage se construit comme un hallucinant voyage au cœur de l’illusion filmique, peignant le portrait d’un homme du cinéma en quête de sa folie créatrice devenant le paria de sa propre entreprise à la dérive.

Sorte de quintessence de sa vision du cinéma, L’Homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam constitue un flamboyant hommage aux marginaux du système, transportés par leur folle inventivité au-delà des conventions de leur milieu. Doté d’un duo vedette à l’alchimie convaincante et reprenant la dimension baroque de l’œuvre originale, le long-métrage, longtemps un mythe pour certains cinéphiles, est une délirante plongée dans le monde du cinéma, tour à tour festive et mélancolique, qui remet en avant la portée universelle de l’imaginaire comme rempart créateur face aux « moulins à vent » de systèmes destructeurs dans le monde ; en somme, une fable moderne sur le pouvoir de l’imagination qui entraîne le spectateur dans sa folie enivrante.

 

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1 Comment

  • Reply
    laure
    29 juillet 2018 at 10:31

    enfin le film de Terry Gilliam a vu le jour et il vaut le détour ! Bravo pour cette chronique qui donne encore plus envie de le voir..

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