Femme de légende

Nancy Cunard

« On connaît en France Nancy Cunard. Elle y a passé la majeure partie de sa vie et plus tard on ne pourra faire, sans parler d’elle, l’histoire intellectuelle d’une part de ce siècle »


Louis Aragon. In Les Lettres françaises.nancy cunard

Portrait de Nancy Cunard (et sa collection de bracelets) par Man Ray, 1926

Née en mars 1896 en Angleterre au sein d’une famille noble, Nancy Cunard n’était pas destinée à devenir une femme qui va marquer son époque par sa modernité et ses engagements. Plutôt destinée à monter à cheval, jouer au tennis et à faire un beau mariage, cette jeune femme, au caractère bien trempé, va prendre son destin en main et symboliser toute une époque. Poète, modèle, éditrice, collectionneuse, militante, journaliste et anticonformiste, Nancy Cunard représentera à elle toute seule l’avant-gardisme anglo-saxon et français dans foule de domaines.

Nancy est issue du gratin, de la haute société : un baron anglais pour père et une mère américaine, riche héritière. Elle s’installe à Londres en 1910 avec sa mère après la séparation de ses parents. Son éducation se fait dans des pensionnats anglais, français et allemands. Elle sera très rapidement en rupture avec son milieu d’origine.
En 1920, elle s’installe à Paris où elle s’implique dans les courants littéraires et artistiques du moment : le surréalisme et le dadaïsme. Elle se familiarise avec les lettres françaises et commence à écrire des poèmes. Elle est au centre de nombreuses attentions et inspirera déjà de nombreux écrivains comme Aldous Huxley.

En 1928, elle s’installe en Normandie et crée  The Hours Press , une petite imprimerie pour soutenir les jeunes auteurs prometteurs. Imprimerie qui ce fit connaître par sa qualité de conception de magnifiques livres. Hours Press fit notamment paraître la première œuvre de Samuel Beckett « Whoroscope »  en 1930 .

Parallèlement à son métier d’éditrice, Nancy Cunard fut une activiste politique engagée et bien souvent qualifiée d’anarchiste. En 1928 après une liaison passionnée de deux ans avec Louis Aragon, elle commence une liaison avec Henry Crowder, un afro-américain, jazzman, travaillant à Paris. Elle s’engage alors en matière de politique raciale et de droits civiques aux États-Unis et n’hésite pas à se rendre plusieurs fois à Harlem et à s’y installer. En 1931, elle publie un ouvrage qui fait polémique « Black Man and White Ladyship » où elle attaque le racisme de plein fouet comme celui de sa mère à l’égard de sa relation avec Henry.

En février 1934, elle publie un ouvrage inattendu  Negro Anthology  où elle pointe du doigt le racisme et le colonialisme ambiant. Très illustré, ce livre de 855 pages, semblable à une grande enquête documentaire, mélange culture populaire, sociologie, politique, histoire, histoire de l’art. Il rassemble des articles, des archives, des photographies, des extraits de presse, de partitions musicales et des témoignages. Cet ouvrage donne la parole aux militants politiques américains, africains, et antillais. Elle y rassemble de nombreux récits d’ auteurs et poètes africains ou afro-américains, des textes sur des cinéastes, musiciens,acteurs, chanteurs et artistes plasticiens. Negro Anthology apporte un regard nouveau sur la culture africaine dans tous les domaines et met en lumière les lacunes et les préjugés  européens à ce sujet. Elle recevra de nombreuses menaces mais mènera son projet à terme avec brio.  Negro Anthology, un avant goût de la négritude…

nancy cunard 2

Au milieu des années 30, elle participe également à la lutte contre le fascisme écrivant sur l’annexion de l’Éthiopie par Mussolini et sur la guerre civile en Espagne. Elle dira très clairement que les événements en Espagne sont les prémices d’une nouvelle guerre mondiale. Elle aidera de nombreux réfugiés espagnols en contribuant à fournir du matériel, de la nourriture et en organisant des collectes de fonds en Angleterre et en France en prospectant dans les rues. Elle devient également reporter et part pour Barcelone la Républicaine afin de dénoncer le drame espagnol. Elle y rencontre Pablo Neruda auquel elle ne sera pas totalement indifférente …

En 1937, elle publie de nombreux poèmes sur la guerre, des œuvres de WH Auden, Tristan Tzara ou Pablo Neruda. Elle sera également à l’origine d’un questionnaire distribué à de nombreux écrivains en Europe dont les réponses seront publiées sous le titre « Authors Take Sides On Spanish War ».
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, elle travaillera comme traductrice à Londres pour la résistance française jusqu’à y laisser ses forces physiques.

Une vie de lutte, cela fatigue le corps et l’esprit. Après la guerre, Nancy voyage beaucoup, elle rend visite à Pablo Neruda au Chili, prend du temps pour elle et pour ses nombreux amis qu’elle fréquente toujours : Tristan Tzara, Man Ray, Ezra Pound, Louis Aragon, Ernest Hemingway, Constantin Brancusi, James Joyce, Samuel Beckett… la liste est longue. Pablo Neruda, dressera son portrait dans son œuvre « J’avoue que j’ai vécu ».

Mentalement et physiquement épuisée par une vie mouvementée, Nancy sombre dans l’alcool et finit même à la rue. Elle est finalement retrouvée et emmenée à l’hôpital Cochin où elle mourra deux jours plus tard en mars 1965. Ses cendres sont aujourd’hui au cimetière du Père-Lachaise.

Nous finirons sur les propres mots de Nancy Cunard à qui on demandait de se définir « Que vous dire de moi-même ? J’aime la paix, la campagne, l’Espagne Républicaine et l’Italie antifasciste, les Noirs et leurs culture africaine et afro-américaine, toute l’Amérique Latine, la musique, la peinture, la poésie et le journalisme. Je hais le fascisme et le snobisme et tout ce qui va avec. Deux œuvres me résument bien : Negro Anthologie sur la culture noire et Authors Take Sides sur la guerre d ‘Espagne et le fascisme »

Femme fascinante, inouïe et symbole de tout un siècle de changement. De toutes les luttes, elle défendit toute sa vie l’égalité des races, des sexes et des classes pour un monde meilleur. Idéaliste ? Peut être mais persévérante et courageuse. Tout cela sans oublier de vivre, parfois avec excès disaient certains, collectionnant les amants comme elle collectionnait les bracelets africains. Elsa Triolet dira : « On parle toujours des poèmes que Louis a écrits pour moi. Mais les plus beaux étaient pour Nancy ». La belle blonde laissa son empreinte sur tout un siècle et dans de nombreux cœurs.

nancy cunard 3
Récemment, le Musée du Quai Branly a consacré une exposition à Nancy Cunard à l’occasion des 80 ans de la publication de Negro Anthology.

A lire :

François Buot, Nancy Cunard, Fayard-Pauvert, 2008

« L’Atlantique Noir » Quai Branly

A voir :

Photographies, peintures, livres

https://www.youtube.com/watch?v=io4CM0d8dI4

You Might Also Like

No Comments

    Leave a Reply

    Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.