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Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême 2013 – Justice est faite ! (3/4)

Aujourd’hui, tout ou presque tourne autour du thème de la Justice pour notre reportage en direct du Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême. L’exposition Au Nom de la Loi nous a en effet entraîné sur le terrain du polar, à la rencontre de deux personnages aussi fascinants que différents : le Juge Bao et Harry Dickson. Comme il faut bien une exception à la règle, nous n’avons pas résisté à vous reparler de Monsieur le Maire et ses Révolutionnaires, avec la rencontre de l’auteur dans une mise en scène déjantée.

 

Nous vous avons déjà parlé de Monsieur le Maire et ses révolutionnaires dans les colonnes de Save My Brain (lire notre chronique sur Monsieur le Maire et ses révolutionnaires). Il s’agit là de la bande dessinée signée Marie de Monti, proposée avec le dernier album d’Alexis HK, Le Dernier Présent (lire notre chronique et interview sur Le Dernier Présent), autour de la chanson César. Cet album est à l’origine d’une exposition dans le centre d’Angoulême.

Exposition Monsieur le Maire et ses revolutionnaires - Marie de Monti (3)

Marie de Monti a investi une petite échoppe pour y installer un autel à la gloire de Maki Katta, le lémurien dictateur qui prend le pouvoir sur le village décrit dans l’album. On y trouve pêle-mêle une mèche de cheveux de l’animal, ses chaussures, diverses bouteilles à son effigie, produites dans un monde où le culte du chef imposerait son image omniprésente… Masques, concours de dessin de Maki-Katta et planches originales parachèvent l’aspect déjanté de cette petite salle.

Exposition Monsieur le Maire et ses revolutionnaires - Marie de Monti (4)

A notre micro, Marie de Monti est revenue sur sa collaboration avec Alexis HK. « Au départ, nous ne nous connaissions pas. Mais le courant est très vite passé. Alexis est quelqu’un d’ouvert et d’accessible. Très vite, on s’est retrouvés l’un chez l’autre pour des séances de travail. La naissance du scénario a valu de longues discussions philosophiques ! »

Exposition Monsieur le Maire et ses revolutionnaires - Marie de Monti (2)

« Concernant le choix de la chanson qui servait de base à l’album, Alexis avait déjà choisi César avant de me contacter pour l’album. J’ai par la suite écouté tout l’album. Je crois que j’aurais été débordée par le choix si j’avais dû sélectionner moi-même le titre ! ».

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Cette petite exposition rend à merveille l’ambiance délirante de Monsieur le Maire et ses révolutionnaires. Si vous voulez vous prosterner devant l’autel du grand Maki Katta, c’est au 15, rue Sainte-Marie que cela se passe !

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Rares sont les occasions d’entrer dans le Palais de Justice d’Angoulême en période de Festival de la B.D.. Cette année, une exposition nous y mène tout droit. Accordée à la thématique du lieu, elle a pour ambition de nous montrer la justice en phylactères.

Exposition Au Nom de la Loi - Angouleme 2013

Tout se passe dans le hall du Palais de Justice, aux proportions monumentales. Les panneaux prennent place, regroupés par thèmes. Tout commence par le dessin de presse, lorsque des dessinateurs suivaient des procès aussi célèbres que l’affaire Dreyfus. Objectifs ou non, ils sont considérés comme le point de départ de la justice dessinée.

Exposition Au Nom de la Loi - Angouleme 2013 (4)

Suivent diverses étoiles, consacrées aux divers types de justice, depuis celle du far-west à celle que nous connaissons en France aujourd’hui en passant par la justice chinoise. Le célèbre Juge Bao, personnage mythique, en est bien entendu la vedette.

Exposition Au Nom de la Loi - Angouleme 2013 (2)

Si les références à la B.D. n’apparaissent pas toujours clairement, cette exposition met en lumière des rouages inconnus du profane. L’évolution vers le futur de la justice est un clin d’œil sympathique aux albums de science-fiction. La justice informelle trouve quant à elle son point d’orgue dans XIII, lorsque le General Sheridan prend à témoin le peuple américain par le biais de la télévision.

Exposition Au Nom de la Loi - Angouleme 2013 (5)

Pour l’instant inédite, cette exposition itinérante devrait trouver son prolongement dans d’autres lieux d’exposition. Suite à la visite de cette exposition sur la justice, il nous semblait opportun de rencontrer un auteur en rapport avec le sujet. Le Juge Bao étant parmi les vedettes du thème, nous avons pris rendez-vous avec Patrick Marty, scénariste de la série parue aux éditions Fei.

Si vous deviez vous présenter en quelques mots… ?

C’est une question difficile… Un peu comme celle des objets que l’on emporterait sur une île déserte. D’ailleurs, cela revient un peu au même, puisque ces objets nous définir ! Je dirais que je suis un raconteur d’histoires, quel que soit le média.

Patrick Marty - Juge Bao (2)

Comment avez-vous connu le personnage historique du Juge Bao ?

Tout a commencé dans un taxi en août 2008 dans un taxi, alors qu’on jetait les premières lignes de ce qui allait devenir les éditions Fei. Et Dieu sait si les heures de taxi dans Pékin sont fréquentes, tant circuler dans cette ville est un calvaire. Nous voulions commencer par un personnage emblématique et j’avais le désir secret de commencer par un polar avec un personnage historique. J’ai discuté avec des sinologues français et je suis tombé sur un article qui parlait de Bao, sur le thème de la justice de l’au-delà. Selon la légende en effet, Bao était capable de se rendre aux enfers pour y aider les juges, avant de revenir.

Pourquoi avoir décidé d’en faire un héros de B.D. ?

Bao est un personnage fantastique. En Chine, il est connu comme Eliott Ness, Robin des Bois ou Zorro chez nous. Il est totalement intègre et son statut est toujours fermement ancré dans l’esprit des Chinois. Il apparaît souvent à l’Opéra de Pékin, il y a des séries télé à son propos… C’était le personnage idéal pour commencer cette série. Il fallait aussi que je m’engage un peu également, puisque si c’est un polar, il met également en jeu la justice d’état.

Comment avez-vous adapté les enquêtes de Bao pour les besoins de la narration ?

Même si l’action se passe dans une époque particulière, celle de la dynastie des Song du Nord, Bao fait toujours face à des problématiques modernes, qu’il s’agisse de spoliation de biens, de fonctionnaires corrompus, de crimes de sang… C’est également le ressort utilisé par Umberto Eco dans Au Nom de la Rose. Bao n’est pas un noble. Il fait partie des magistrats polyvalents qui, comme les diplômés de nos jours, choisissaient un poste plus ou moins prestigieux en fonction de leur degré de réussite. J’ai ensuite ramené le personnage à moi, simple occidental, pour qu’il puisse me toucher. J’aimais la possibilité qu’il m’offrait de mélanger les intrigues à plusieurs niveaux, de présenter des crimes et délits à plusieurs degrés. Le contexte historique est cadré mais les possibilités sont nombreuses : Bao voyages à travers les différentes couches de la société et la diversité des paysage est immense. L’Empire Song représentait environ le tiers de la Chine actuelle.

Le Juge Bao - Patrick Marty et Chongrui Nie

Quels traits fallait-il donner au Juge Bao ?

Du point de vue de l’aspect, j’ai voulu ramener Bao à quelque chose de moins hiératique que ce qu’il est actuellement dans la culture chinoise. Le feuilleton télévisé le représente comme un grand bonhomme avec un peu d’embonpoint, tout noir avec une lune sur le front. En Chine, le noir est la couleur du fer et en conséquence, il symbolise la fermeté. Après quelques recherches, il s’est avéré que le véritable personnage mesurait 1,62 m, était tout blanc et tout menu. Mais il avait une force de caractère incroyable. Une fois, il a postillonné de colère sur l’empereur. Tout le monde a alors cru sa dernière heure arrivée. En fait, Bao existait parce que Renzong, l’empereur de l’époque, existait. Ils étaient de la même génération et il y avait un réel échange. Bao était en quelque sorte le bras armé de Renzong. L’administration de l’Empire était complexe, avec des sommes colossales investies pour le peuple. Les fonds transitaient par le biais de l’armée et il fallait lutter contre la corruption galopante.

Comment s’est passé la rencontre avec Chongrui Nie ?

Après une discussion avec Fei, notre éditrice, nous sommes allés dans une agence spécialisée d’artistes qui met en relation occidentaux et Chinois. Quand on a vu les planches sur la table, je n’ai pas mis plus de trente secondes à dire que c’était lui. Les planches de Chongrui Nie en noir et blanc traduisaient exactement l’univers que je voulais, pour un minimum de six tomes. Il y avait certes la barrière de la langue mais on a un brillant traducteur de l’université de Pékin. Par ailleurs, Fei parle trois langues. Il n’y a de toutes manières jamais eu d’incompréhension. Je viens du cinéma donc mes découpes sont précises, comme sur un tournage : gros plan sur Bao à gauche du cadre, etc.. Ensuite, il transcende tout cela. On a beaucoup de documentation sur la période Song, pour rendre réaliste l’ameublement, les vêtements, la nourriture… Chongrui Nie a près de soixante-dix ans et cinquante ans de carrière comme dessinateur et éditeur.

Exposition Au Nom de la Loi - Angouleme 2013 (3)

Les enquêtes sont-elles liées à des événements réels de la carrière de Juge Bao ou sont-elles pure fiction ?

C’est toujours de la fiction. La ligne directrice est là mais les histoires sont inventées à 95 %.

Le Juge Bao est un des principaux protagonistes de l’exposition sur la Justice, présentée au Palais de Justice d’Angoulême pendant le Festival. A quel point avez-vous été impliqué dans la mise en place de cette exposition ?

Tout vient du président du TGI d’Angoulême, qui est un fan de Bao. De mon côté, je souhaitais rencontrer des magistrats français, des étudiants… J’ai alors appris que beaucoup de magistrats étaient fans de Bao, avaient des posters de lui. L’initiative de l’exposition s’est concrétisée après un coup de fil à Benoît Mouchard, du Festival, qui a accueilli l’idée avec enthousiasme, la thématique étant rare. Ensuite, ça a été un travail notamment avec le corps enseignant. L’ensemble a pris belle tournure et l’exposition est itinérante.

Patrick Marty - Juge Bao

Notre magazine s’appelle Save My Brain… Sauver les cerveaux. Comment peut-on le faire ?

Il y en a qui sont insauvables ! Il est impératif de sauver le cerveau des petites têtes qui sont en train de pousser. On en est responsables. Pour eux, la solution commence par l’enseignement. Mais l’enseignement de tout, pas seulement celui de l’école.

Votre coup de cœur B.D. cette année ?

Immédiatement je pense à l’album de Chabouté, Un Peu de Bois et d’acier (lire notre chronique et interview à propos de Un Peu de Bois et d’acier). Il est allé au bout de ce que la B.D. peut donner. Sinon, je pense aussi à Blast. C’est un personnage antipathique au premier abord mais qui devient incroyable de poésie et de complexité.

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Tout naturellement, la justice nous entraîne vers le genre du policier. Si les enquêtes du Juge Bao ont un petit parfum de Sherlock Holmes, dans un tout autre contexte, Harry Dickson se réclame directement du détective de Conan Doyle. Il est d’ailleurs présenté comme « le Sherlock Holmes américain ». A l’heure où les éditions Soleil rééditent les premiers tomes de la série, nous avons rencontré le scénariste Richard D. Nolane qui nous raconte l’histoire incroyable de ce personnage.

Harry Dickson - L'ile des possédés

Si vous deviez vous présenter en quelques mots… ?

Je suis auteur scénariste depuis les années 1980. Je suis venu à la B.D. par hasard, par le biais d’amis. Christophe Arleston (scénariste de Lanfeust de Troy, NDLR) m’a parlé au début des années 1990 d’un nouvel éditeur basé à Toulon. C’était Soleil, qui s’appelait encore MC Production. Mourad Boudjellal, fondateur de Soleil, savait que j’aimais la littérature populaire et m’a proposé d’adapter Harry Dickson en B.D.. Depuis, j’ai entamé une nouvelle carrière, principalement en B.D..

Les enquêtes d’Harry Dickson sont aujourd’hui rééditées. Cela signifie-t-il la fin de la série ?

Non, il se pourrait bien qu’un quatorzième tome voie le jour. La décision de rééditer les premiers tomes a été prise d’un coup, après que Soleil a été racheté par Delcourt. Ca a été l’occasion d’un relookage complet des couvertures des albums.

Pourquoi avoir choisi de lancer une nouvelle série de Harry Dickson en B.D. alors qu’il existait déjà celle de Zanon et Vanderhaeghe ?

Par opportunité commerciale principalement. On s’est aperçus que la série de Zanon et Vanderhaeghe marchait bien et le personnage était tombé dans le domaine public. Il me plaisait, du fait de mon goût pour la littérature populaire. Mais on a tout de suite voulu se différencier de l’autre série, qui se rapprochait plus de Blake et Mortimer. Je voulais me rapprocher des fascicules des années 1920, où Dickson était un détective occulte. Il fallait que les deux séries soient différentes au premier coup d’œil.

Comment est né le personnage de Harry Dickson ?

L’histoire du personnage Harry Dickson est assez compliquée. Au départ, cela a commencé avec une adaptation pirate de Sherlock Holmes, pour des fascicules en allemand. Etrangement, si Sherlock Holmes restait lui-même, Tom Wills avait déjà remplacé Watson. La première fois que le nom de Harry Dickson est apparu, c’est en 1913, dans un film français tiré de ces fascicules allemand, pour contourner l’interdiction d’utiliser le nom de Sherlock Holmes (par la suite, les héritiers de Conan Doyle se sont montrés très compréhensifs lors de l’utilisation du personnage de Sherlock Holmes, sans jamais intenter un procès à quiconque). Par la suite, lorsque ces fascicules allemands ont été traduits en néerlandais, ils ont repris le nom de Harry Dickson. Les enquêtes étaient alors très typées Sherlock Holmes. Jean Ray a commencé à les traduire en français. Il a très vite jugé le contenu mauvais et a fini par réécrire totalement les histoires, en conservant simplement le titre. Comme les fascicules Harry Dickson ont été publiés anonymement, on ne sait pas exactement lesquelles sont l’œuvre de Jean Ray. Il a un jour coché sur une liste ceux qui étaient de son cru mais la liste s’est révélée inexacte. Aujourd’hui encore, on ne connaît pas la liste exacte à 100 %.

Richard Nolane - Harry Dickson

Le scénario est-il issu des romans originels ?

Non, on est juste partis des mêmes personnages. Mais dès le tome 2, j’ai trouvé intéressant de rajouter Tania Symons. Vu que Harry Dickson est misogyne et mauvais coucheur, je trouvais amusant de rajouter cette jeune femme suffragette. Quant à Tom Wills, c’est un personnage à pâle, sans relief, qu’on a traîné comme une croix. A la fin, j’ai réussi à m’en débarrasser en l’envoyant ailleurs. A partir du tome 9, j’ai rajouté le Linyon St-Yves, un professeur de maths passionné par la parapsychologie. Il est l’avatar d’Yves Lignon, un ami à moi, également professeur et passionné de BD. Il est d’ailleurs venu sur certaines séances de dédicaces avec le costume de son personnage ! Dans les quatre derniers tomes, il fait partie du staff de la maison. Et je trouve le trio Linyon St-Yves/Harry Dickson/ Tania Symons bien plus intéressant que le duo Harry Dickson/Tom Wills !

Quelle est selon vous la singularité de Harry Dickson par rapport aux autres séries policières ?

Sa principale singularité est qu’il s’agit d’un détective occulte. Il s’agit là d’une branche du fantastique, dans laquelle on trouve toujours les méthodes policières. Et la différence par rapport aux autres détectives occultes, est qu’il s’agit d’un héritier direct de Sherlock Holmes. D’ailleurs, il habite au même endroit. Dans le tome 12, on n’a pas résisté. On a fait se rencontrer Conan Doyle, Sherlock Holmes et Harry Dickson. Au départ, Holmes déteste Dickson et le considère comme un charlatan, qui s’occupe de magie. A la fin, Holmes s’aperçoit que l’univers de la magie a également une logique stricte et que lui et Dickson ont la même logique, adaptée à un univers différent. D’ailleurs, ils se ressemblent : ils sont aussi chiants l’un que l’autre !

Notre magazine s’appelle Save My Brain… Sauver les cerveaux. Comment peut-on le faire ?

En lisant ! Livres et B.D., vu que j’ai un pied dans les deux camp.

Votre coup de cœur B.D. de l’année ?

Je ne suis pas un spécialiste de la B.D., alors j’aurais peur de dire une bêtise… Je verse plus dans la littérature populaire !

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