Littérature

Annie Ernaux : « écrire est un acte politique »

Annie Ernaux est née le 1er septembre 1940. Originaire d’un milieu ouvrier, elle passe son enfance dans le café-épicerie de ses parents à Yvetot en Normandie. Puis elle fait ses études à l’université de Rouen. Agrégée de Lettres Modernes, elle devient institutrice, puis professeur. Divorcée, elle a deux enfants. Elle a commencé un journal intime à l’âge de 16 ans, et à 20 ans, son souhait le plus fort était d’écrire.

Annie Ernaux a publié une quinzaine de romans. En 1984, elle reçoit le Prix Renaudot pour son roman « La Place », puis en 2008 elle obtiendra le Prix François Mauriac et le Prix Marguerite Duras pour son best seller « Les années », elle est également Lauréate du Prix de la Langue Française en 2008 à Brive, pour l’ensemble de son oeuvre.

Au travers de ses écrits, Annie Ernaux dépeint des tranches de vie qui peuvent appartenir à chacun. Elle mêle avec virtuosité histoire et expérience individuelle. Auteur centré sur la mémoire, elle exprime tour à tour ses parents, son enfance, l’ascension sociale, l’adolescence, l’avortement, le mariage, la femme, les plaies intérieures de ses relations passionnées et complexes avec les hommes et l’amour en général, la maladie, la vie. Elle parle d’elle-même, de ses émotions, cette femme authentique dérange, agace, fascine. Ses ouvrages dissèquent avec minutie et exigence la réalité. Ecrivain majeur de notre temps, Annie Ernaux écrit des récits universels avec des mots simples, liés aux choses et dans lesquels elle décrit des gens profondément humains. Avec justesse et sans concessions, elle expose sa vie, avec ses émotions à coeur ouvert, en relatant les faits de manière la plus fidèle et la plus sensible. En racontant sa vie, elle raconte celle des autres, à partir d’une émotion fortement ressentie, cet écrivain authentique écrit sur le « refoulé social », sur la souffrance des « dominés », elle cherche à transcrire la violence de la réalité et la partage avec le lecteur.

D’une écriture dépouillée, dense, précise ciselée, conotenue, elle écrit la réalité et les choses vécues, ses textes fouillent le personnel et le social dans un même mouvement. Son style est dans le non style, « l’écriture plate » comme elle le dit. Tel un ethnologue, Annie Ernaux explore, fouille, décante et distille le passé en allant jusqu’au bout dans le contenu et la forme, en creusant les choses pour faire sortir les mots, toujours dans une quête d’exactitude. Comme un peintre, elle utilise la palette des mots qu’elle joue sur une partition et en fait ressortir un tableau dont la forme littéraire est l’exploration de la mémoire et offre ainsi aux autres le miroir où se reconnaître, se voir et composer une autobiograpie qui confonde avec la vie du lecteur.

« J’écris pour que nous n’ayons pas existé pour rien »

Livres :

« Les Armoires Vides » chez Gallimard en 1974 : Roman sur sa jeunesse dans un milieu modeste. Denise Lesur, étudiante, évoque les souvenirs de son enfance insouciante dans le café-épicerie de ses parents. Ell rentre dans une école privée et découvre un autre monde qui lui fait prendre conscience qu’elle ne vient pas du même milieu que les autres filles. Entre honte et culpabilité, Annie Ernaux retranscrit cette déchirure sociale et l’ambiguïté des rapports et évolutions des sentiments entre ses parents et elle.

« Ce qu’ils disent ou rien » chez Gallimard en 1977 : court texte sur l’adolescence de l’auteur qui exprime le rejet des parents, du milieu, la culpabilité, la honte, la jeunesse et les désirs.

« La Femme Gelée » chez Gallimard en 1981 : roman sur la condition de la femme. Annie Ernaux évoque l’itinéraire d’une femme mariée, la narratrice revient sur son enfance, sa vie de jeune femme et de femme, 30 ans, mariée, mère de deux enfants, qui bataille seule entre son travail, la lourdeur des tâches ménagères et l’éducation de ses enfants.

« La Place » chez Gallimard en 1984 : ce roman lui vaudra le Prix Renaudot. Ce court roman évoque l’histoire de son père, fils d’ouvrier agricole en Normandie, entré dans la vie active à 12 ans, comme vacher, puis devenu ouvrier d’usine avant d’acheter un café-épicerie à Yvetot. Au travers du portrait d’un homme simple, Annie Ernaux retrace la vie et la mort de son père en dévoilant la distance douloureuse survenue entre elle, étudiante, et ce père. C’est un récit intimiste sur la relation père-fille. Annie Ernaux rend un véritable hommage à son père tout en évoquant les problèmes d’incommunicabilité entre elle et lui, dont les valeurs et les rêves diffèrent. Un texte émouvant et sincère écrit avec sensibilité et délicatesse.

« Une Femme » chez Gallimard en 1988 : roman qui évoque la mère de l’auteur. Dans ce récit, Annie Ernaux évoque la perte de sa mère. Au fil des mots, elle essaie de retrouver les différents visages de sa mère décédée en 1986 d’une maladie qui a détruit sa mémoire et son intégrité physique et intellectuelle. Amour, haine, tendresse, culpabilité et attachement viscéral à la vieille femme diminuée se mélangent dans ce roman. Annie Ernaux évoque cette femme en dessinant son parcours, et en évoquant son enfance en Normandie dans un milieu modeste, la volonté de s’élever, de pousser sa fille à faire des études. A la fois tendre et attendrissant, ce roman est une belle déclaration d’amour d’une fille à sa mère.

« Passion Simple » chez Gallimard en 1991 : roman qui évoque la passion amoureuse extraordinaire vécue par la narratrice avec un homme marié, diplomate soviétique, plus jeune qu’elle, et dans lequel elle détaille cette histoire de l’attente amoureuse et vaine de son amant.

« Journal du Dehors » chez Gallimard en 1993 : de 1985 à 1992, l’auteur a tenu un journal entre Paris et Cergy où elle décrit des scènes, des paroles vues ou entendues dans le RER, dans les hypermarchés et en retient quelque chose de l’époque des gens croisés une fois et qui déclenchent le trouble, la colère ou la douleur, scènes de la vie banales, surréalistes ou impudiques parfois, sur fond de décor de paysages urbains.

« La Honte » chez Gallimard en 1997 : roman sur un évènement vécu par l’auteur. Ce récit évoque l’irruption de la honte dans la vie d’un enfant de 12 ans. La narratrice se souvient de ce jour de juin 1952, où lors d’une violente dispute opposant ses parents, son père tente de tuer sa mère, sa vie est alors bouleversée dans l’angoisse de la prochaine dispute et surtout ce sentiment de honte qui la saisit au plus profond.

« Je ne suis pas sortie de ma nuit » chez Gallimard en 1997, sur la maladie de sa mère. « je ne suis pas sortie de ma nuit » sont les mots adressés dans une lettre envoyée par sa mère à une amie. Dans ce roman, Annie Ernaux évoque les dernières années de la vie de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Au travers d’un journal écrit sur le vif, dans la douleur et la spontanéité des émotions, Annie Ernaux évoque les moments de lucidité et de folie de sa mère, qu’elle voit s’éteindre peu à peu. Un texte touchant, beau et riche en émotions.

« La Vie Extérieure » chez Gallimard en 2000 est le rassemblement de scènes de la vie courante, des petits riens de la vie de tous les jours, notes que l’auteur a pris le temps d’écrire de 1993 à 1999.

« L’événement » chez Gallimard en 2000 : roman sur l’avortement. Ce récit évoque l’histoire poignante de la narratrice, jeune femme qui veut avorter dans une période où cela représente un délit. Annie Ernaux raconte le périple de cette jeune femme, ce parcours douloureux, difficile et délicat, ses peurs, ses angoisses, son désespoir et sa solitude. Au travers de ce livre, la narratrice évoque l’avortement clandestin qu’elle a subi en 1963 dans des conditions angoissantes et éprouvantes. L’auteur évoque avec justesse cet évènement inoubliable.

« Se Perdre » chez Gallimard en 2001 : journal écrit durant sa passion décrite dans le roman « Passion Simple ». Dix ans après son roman « Passion Simple », Annie Ernaux publie son journal intime tenu à l’époque de cette passion, de septembre 1988 à nvoembre 1989, absorbée par la passion amoureuse avec S., son amant russe, dans lequel elle décrit son plaisir, ses attentes, ses doutes, ses brefs et rares moments d’union avec son amant, c’est une réflexion sur la passion amoureuse, sur le désir et la vie.

« L’Occupation » chez Gallimard en 2002 : roman sur la jalousie. Dans ce récit, la narratrice quitte son amant, mais lorsque celui ci lui annonce qu’il a une autre femme dans sa vie, un sentiment de jalousie envahit la narratrice qui cherche à connaitre cette « autre » qui la hante, devient obsessionnelle, l’image et l’existence de cette femme ne cessent de l’obséder et c’est cette « occupation » qu’elle évoque. Son recours sera l’écriture, comme un dérivatif à sa souffrance  et une façon de sortir de ce tourbillon qui la perd. Ecrire permet à l’auteur de réduire le trop plein de jalousie qui ronge les derniers souvenirs, et doit la sortir de cette tragédie.

« L’Ecriture comme un couteau » chez Stock en 2003, aec F-Y Jeannet sont des entretiens dans lesquels Annie Ernaux évoque sa venue à l’écriture, sa manière de travailler et ses raisons d’écrire.

« L’Usage de la Photo » chez Gallimard en 2005. Ouvrage écrit avec son compagnon de l’époque, Marc Marie. C’est un concerto à deux voix où chacun commente séparément quatorze photos représentant l’histoire de leur liaison. Au travers d’un album de photos représentant les vêtements enlevés au corps avant l’amour, poonctués de textes, Annie Ernaux évoque son cancer du sein et cette liaison.

« Les Années » chez Gallimard en 2008 : Best-seller 2008, c’est une autobiographie impersonnelle d’Annie Ernaux, qui à partir de photos personnelles et de souvenirs nous évoque toute une génération de l’après-guerre à 2007. C’est l’histoire d’une femme et l’histoire du monde autour d’elle, sans dissocier l’un de l’autre. Annie Ernaux décrit le parcours des années qui sont derrière nous et essaie de faire ressentir le passage du temps, et dire à la fois l’intime et le collectif, et « sauver ces années derrière nous et que l’on ne reverra plus jamais ». Au travers de ce livre, elle rassemble ses vies multiples en une sorte d’autobiographie impersonnelle.

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