Chanteuse rock

Lily Allen

Ah, la Grande-Bretagne : sa Queen Elizabeth, digne représentante de la Famille Royale, installée dans le cosy palais de Buckingham, ses cabs londoniens et ses bus à impériale qui se disputent la faveur des touristes, hésitant encore entre une virée culturelle sur les pas de Shakespeare, un pèlerinage vers le Liverpool des Beatles et pourquoi pas un match de Manchester United… Interrogez ces mêmes touristes sur ce qui fait le charme de la campagne anglaise : ceux-ci ne manqueront certainement pas de citer ces charmants petits cottages aux jardins impeccablement tenus, d’où s’échappent de délicieuses effluves de muffins tout juste sortis du four, accompagnés avec ce qu’il faut de thé et marmelade… Voilà pour l’image d’Epinal pré Lily Allen.

Comme un pied de nez aux bonnes manières, la chanteuse n’en finit pas de donner du grain à moudre aux tabloïds nationaux, jusque-là affairés sur les frasques de leur Royal Family ou du couple Beckham. Un seul titre aura suffi en 2006, pour arracher la jeune artiste de la blogosphère : « Smile », chansonnette à l’air candide mais aux refrains dévastateurs ! Et les médias de s’emparer du phénomène Allen à mesure que son premier album « pop-ska-reggae », Alright, Still caracole en tête des ventes internationales. Grisée par le succès, la fashionista post-ado en oublie presque son statut tout nouvellement acquis que déjà la presse à scandale pointe du doigt chacune de ses incartades : problèmes de poids, de boisson et de stupéfiants, histoires de cœurs et même une fausse couche, rien n’est épargné et beaucoup gagent que sa carrière n’ira pas plus loin…

Eh bien, Lily se fait une joie de leur prouver le contraire avec la sortie, le 9 février dernier, de son deuxième album au virage electropop-alternatif : It’s Not Me, It’s You. La meilleure arme de cette grande gueule délicieusement irrévérencieuse ? Une voix d’ange débitant des textes incisifs. So shocking !

Chanteuse en herbe

Lily Rose Beatrice Allen est née le 2 mai 1985 à Londres, dans le quartier de Hammersmith. Benjamine de la famille, celle-ci a une grande sœur prénommée Sarah, un frère Alfie, une sœur Rebecca et de nombreux demi-frères et sœurs. Avec un père comédien, Keith Allen et une mère productrice de cinéma, Allison Owen, on aurait pu croire que la jeune fille est née avec une cuillère d’argent dans la bouche mais la réalité est toute autre. Certes, son parrain n’est autre que le célèbre Joe Strummer des Clash mais quand ses parents se séparent alors que celle-ci n’a que 4 ans, la petite Lily part s’installer avec sa mère dans un HLM, où elle y passera une bonne partie de son enfance. On est loin d’une jeunesse dorée et Lily ne manque pas de le préciser lors d’une interview pour le site pitchfork.com « […] Ma mère est arrivée à Londres à 17 ans avec une fille sous le bras, une valise et rien d’autre, pas d’argent ni de diplôme. C’était une punk et nous n’avions pas le moindre sou les dix premières années de mon existence. Nous vivions dans ce que vous appelez les lotissements et nous mangions des toasts de ‘baked beans’ (ndlr : haricots blancs cuits dans une sauce tomate aromatisée). Ma mère venait de ce milieu, mais elle a juste travaillé très dur pour nous nourrir et garder un toit au-dessus de nos têtes et c’est probablement ça qui me fait rester vigilante ».

Et de continuer : « Mais les gens ne voient pas ça car ma mère est productrice de ciné et mon père, acteur. Ils pensent que ce devait être vraiment facile pour moi : « elle était très riche ». Mais ce n’est pas vrai. Mon père est parti quand j’avais 4 ans et je ne lui avais jamais vraiment reparlé jusqu’à mes 15 ans. Donc, j’estime que je peux parler de choses avec conviction parce que j’ai en fait l’expérience dans une certaine mesure » (http://pitchfork.com/features/interviews/6476-lily-allen/). C’est donc dans ce contexte un peu particulier que la fillette grandit, fréquentant un nombre incalculable d’écoles (plus d’une dizaine !), avant de sortir du cursus scolaire à 15 ans. Pour cette élève dissipée et tapageuse, la seule passion reste la musique et après avoir appris le piano et le chant, le violon, la guitare et la trompette, celle-ci décide de mettre les voiles vers Ibiza. Sitôt son retour de la capitale du clubbing, Lily entame des études de fleuriste tout en nourrissant le rêve de percer dans l’industrie musicale.

A force de persévérance, la jeune artiste obtient son premier contrat en 2002 avec la filiale de Warner, London Records. Or, celle-ci se rend compte rapidement que la maison de disque n’a aucune intention de produire les chansons folk qu’elle a co-signé avec son père. Lily n’en continue pas moins d’écrire et, grâce à son manager, collabore avec le duo de producteurs Future Cut, dont sera issu le titre « Smile ». En 2005, Allen troque de label pour Regal Records, qui lui concède 25 000 livres pour produire un album, bien que n’étant pas disponible pour en assurer la promotion, trop occupés qu’ils sont à communiquer sur Coldplay et Gorillaz. Agacée par la lenteur du processus, la chanteuse décide de prendre les devants en se créant un compte Myspace, sur lequel elle poste ses propres démos en novembre de la même année.

Tranquille, cependant

Une sage décision pour Lily : via ce service de réseautage social en ligne, des milliers d’internautes commencent à consulter son profil. L’intérêt allant croissant, une édition limitée à 500 exemplaires de « LDN », chanson hommage à la ville de Londres, sort à la hâte dans les bacs. Passé la barre des 10 000 amis Myspace, le phénomène Allen prend résolument place dans le réel et commence à intéresser les médias, dont le magazine The Observer Music Monthly. Cela ne pouvait pas mieux tomber pour l’artiste : en lui consacrant un article en mars 2006, la publication crédibilise celle-ci aux yeux de son label qui lui accorde en retour plus de champ dans la direction artistique de l’album en préparation. Au placard les idées de formatage musical, place aux producteurs Greg Kurstin et Mark Ronson pour en assurer la réalisation sous une deadline de deux semaines…

C’est donc le 14 juillet 2006 qu’un public de fans impatients fait la connaissance d’Alright, Still, sorti sous le label EMI. Porté par le single phare « Smile », sorti quelques jours auparavant, le premier album de Miss Allen est un franc succès que l’on range sous une palettes d’influences pop, ska, reggae, indé, R&B, alternatif, électronique… Tout aussi difficile de mettre une étiquette sur ces textes acides portés par des accompagnements entraînants. Si Lily entend prendre à contre-pied les influences musicales du moment, elle n’en manque pas moins de surprendre son auditoire, pas vraiment habitué à entendre une jeune fille de 19 ans régler ses comptes avec un tel franc parler « mockney » (ndlr : personne utilisant délibérément l’accent cockney). Tout est prétexte à sa plume acerbe : un ex pas franchement dans ses petits papiers (« Smile », « Not Big », « Take What You Take »), un frangin qu’elle adore mais qui loose (« Alfie »), le monde de la nuit (« Friday Night »), les dragueurs relous (« Knock’ Em Out »), etc.

Une succession de tubes emboîtent le pas à « Smile », sans jamais l’égaler cependant : « LDN », « Littlest Things », « Alfie », « Shame For You ». Conséquence normale : Alright, Still s’écoule à plus de 2,6 millions d’exemplaires à l’échelle internationale, se classant platine en Europe et en Australie, dont à six reprises dans son pays natal tandis que les Etats-Unis, le Canada et la Nouvelle-Zélande le décline en or… Question récompense, celui-ci n’est pas en reste en obtenant une nomination en tant que « Meilleur Album de Musique Alternative » à la 50e cérémonie des Grammy Awards ! Pas de doute, les explicit lyrics de Lily font définitivement mouche.

La presse spécialisée est la première à se faire l’écho de l’étonnante dichotomie existant entre l’insouciance des mélodies et l’ironie des paroles de ce premier album, composé pour le magazine en ligne spin.com « d’histoires derrière d’autres histoires » (http://www.spin.com/reviews/lily-allen-alright-still-capitol). Pour la chronique musicale du très sérieux The Guardian, Lily n’a pas son pareil pour « déballer son linge sale en public et se rouler dedans, se délectant de sa saleté, sur une bande sonore faite de rythmes ska et de sonorités reggae mélodieuses » (http://www.guardian.co.uk/music/2006/jul/14/popandrock.shopping1), allant même jusqu’à accorder un 5/5 pour cette « marque de pop particulièrement acide, la cerise sur le gâteau étant cette langue acérée sans merci » (http://www.guardian.co.uk/music/2006/jul/16/22). Quant à Rolling Stone, le seul fait que celle-ci se « répande sur l’éclat et le soleil de Londres, et ça vous ne l’entendez sûrement pas tous les jours, est juste une nouvelle preuve que Lily Allen est une originale » (http://www.rollingstone.com/reviews/album/13135176/review/13232056/alright_still). Ce n’est rien de le dire !

Ce n’est pas moi, c’est toi

« Tout d’abord, quand je t’ai vu pleurer/ Ouais, ça m’a fait sourire, ouais ça m’a fait sourire, Au pire, je me suis sentie mal un instant/ Mais après j’ai juste souri/ Je suis allée de l’avant et j’ai souri ». Les paroles de « Smile », ici traduites en français, Lily semble les appliquer à sa vie de tous les jours. Qu’importe les gros titres d’une certaine presse à scandales qui se fait les choux gras de ses problèmes de poids, de boisson, d’usage de stups ou autre outrage à la bienséance, la jeune fille n’en utilise que mieux les médias pour se façonner une image de grande gueule décomplexée. Une « couv’» juste ce qu’il faut de dénudée pour le numéro d’avril du magazine brit Q, une joute verbale plus qu’animée avec Elton John lors de la présentation des GQ Awards en septembre dernier, un insolite troisième mamelon qu’elle exhibe à qui veut bien le voir… Couplée à une animosité tout sauf réfrénée à l’encontre de Luke Pritchard (de The Kookds), Bob Geldof, Cheryl Cole (des Girls Aloud), Amy Winehouse, Kylie Minogue et Katy Perry (et on s’arrêtera là !), la liste de ses coups de pub politiquement incorrects est longue.

Eh bien tant pis, Lily est ce que l’on appelle une personnalité « cool ». En bonne position en effet dans la « Cool List » du magazine New Musical Express de 2006, classée « Raison Numéro 1 d’Aimer 2007 » et « Femme la Plus Hot de la Pop/R&B » pour Blender Magazine, cela vaut bien quelques incartades. D’autant que la chanteuse a fait de l’engagement son credo : pour la cause humanitaire tout d’abord en participant aux concerts War Child, dont les bénéfices sont reversés aux enfants victimes de la guerre, pour la condition gay ensuite, en devenant la première femme à poser pour le magazine Gay Times, sans oublier la défense de l’écologie et de la cause animale. On peut en outre être animatrice sur BBC Three avec le talk show « Lily Allen and Friends », lancer une ligne de vêtements « Lily Loves », avouer être une victime de la mode mais savoir utiliser à bon escient sa cervelle !

En bonne aguicheuse qu’elle est, Lily sait comment faire languir les curieux qui attendent son nouvel album. On se souvient de très bonnes reprises : « Everybody’s Changing » de Keane, « Don’t Get Me Wrong » (Pretenders), « Heart of Glass » de Blondie, mais on était loin de se douter du « Womanizer » de Britney, au demeurant très bien réinterprété ! Lily la peste n’est pas vache et avec un peu d’attente, It’s Not Me, It’s You sort le 9 février dernier à l’échelle européenne. Pour son deuxième album, la jeune femme a traversé l’Atlantique direction Los Angeles pour enregistrer aux Eagle Rock Studios avec toujours le producteur Greg Kurstin aux commandes. On ne change pas une formule qui gagne ! Et surtout pas ces brillants portraits au vitriol dont seule Allen a le secret, qui se développent cette fois-ci sur une base à dominante electropop, pop et alternative.

Car qui, à part elle, peut parler de façon aussi naturelle d’un amoureux parfait en tout point si ce n’est sa capacité à la satisfaire sexuellement (« Not Fair ») et adresser un cordial « fuck you » en guise de meilleures salutations à un destinataire inconnu (ndlr : on murmurait entre autres George W. Bush ou le British National Party) ?… Avec style bien sûr ! Mais ce n’est pas tout : It’s Not Me, It’s You est également l’occasion pour Lily d’aborder des textes à dimension sociale. Ainsi, tandis que le très controversé « Everyone’s At It » évoque l’hypocrisie générale face à la consommation de drogues, le single phare « The Fear » extrapole les dérives commerciales de la société de consommation. (« Et je suis une arme de consommation massive/ Et ce n’est pas de ma faute, c’est la manière dont je suis programmée pour fonctionner/ Quand pensez-vous que tout deviendra clair/ Car je suis envahie par la peur », donnerait ainsi en français le refrain de « The Fear »).

Derrière ses aspects naïfs, « 22 » est également un reflet des temps, celui où il ne fait pas bon avouer être célibataire après 30 ans. Que Lily se rassure : si elle semble déjà avoir tant vécu du haut de ses 23 ans, il lui reste encore tellement de choses à découvrir. A commencer par sa maturité artistique, déjà pas si mal engagée à en juger par la critique des inrocks.com sur son dernier album : « On se réjouit déjà qu’un album aussi perturbé et schizophrène – la liesse insouciante des mélodies, la noirceur inouïe des paroles – vienne bientôt troubler les sommets avachis de la pop occidentale […] » (http://www.lesinrocks.com/musique/musique-article/article/its-not-me-its-you/) . Encore un peu de patience pour le verdict en live : si la première escale du Brilly Allent Tour à la Cigale se joue à guichets fermés, nul doute qu’il reste encore des billets pour le Main Square Festival d’Arras, le 3 juillet prochain ! Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire…

(Les photos proviennent de http://www.lilyallenmusic.com)

Sources

Sites internet :
http://www.lilyallenmusic.com/lily/
http://www.myspace.com/lilymusic
http://lilyallen.over-blog.com/
http://fr.wikipedia.org
http://en.wikipedia.org
http://www.allmusic.com
http://www.rollingstone.com

Articles:
– Lily’s Bio (http://www.lilyallenmusic.com/lily/about)
– Lily Allen (http://pitchfork.com/features/interviews/6476-lily-allen/)
– Interview vidéo : Lily Allen est-elle celle que l’on croit ? (http://www.aufeminin.com/actualite-musicale/lily-allen-chanteuse-interview-d5863.html)
– Lily Allen et Elton John, duel sur scène (http://next.liberation.fr/article/lily-allen-et-elton-john-duel-sur-scene)
– Lily Allen – Allright, Still (Capitol) : Witty Brit brat calls out the phonies. (http://www.spin.com/reviews/lily-allen-alright-still-capitol)
– Lily Allen, Alright, Still (Regal Parlophone) (http://www.guardian.co.uk/music/2006/jul/14/popandrock.shopping1)
– Lily Allen, Alright, Still : Britain’s new pop darling justifies all the purple prose (http://www.guardian.co.uk/music/2006/jul/16/22)
– Lily Allen – Allright, Still (http://www.rollingstone.com/reviews/album/13135176/review/13232056/alright_still)
– Lily Allen – It’s Not Me, It’s You (http://www.lesinrocks.com/musique/musique-article/article/its-not-me-its-you/)

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